Il ne s’agit pas ici des forêts en général mais du bois de Vincennes exploré au fil des saisons et des rencontres avec ceux qui viennent y passer quelques instants, y travailler ou y vivre.
Des choses simples et inattendues.
Et pourtant les premières secondes du documentaire ne sont pas engageantes: des images du bois, un texte qui le compare à un temple, puis la voix off de Claire Simon qui parle lentement. On a l’impression qu’on veut nous dire “hey regardez on va faire de la poésie!” (je n’ai rien contre la poésie mais là ça avait un aspect forcé).
Heureusement, on en vient très vite aux premières rencontres et cet le côté pompeux s’efface.


On passe un bon moment devant ce documentaire plein de générosité et de délicatesse, fait de rencontres hors-norme qui nous poussent à nous demander où se trouve justement cette foutue norme et à douter de sa pertinence.
Est-ce “normal” de parcourir le bois par groupe de 5 “urbanistes” afin de déterminer s’il faut poser des pierres à gauche ou à droite d’une rivière, détourner tel sentier de randonnée? Est-ce “anormal” d’abandonner une vie “classique” pour vivre dans une tente au milieu du bois?
Et pourtant on peut difficilement simplifier les multiples rencontres en une simple réflexion sur la civilisation et l’exclusion.


Pendant 2h30, on côtoie une galerie de personnages aussi différents qu’intéressants, dans une sorte de patchwork improbable qu’on aurait trouvé clichés s’ils avaient été les personnages d’un film.
Ils sont tous des incarnations presque caricaturales de leur mode de vie dans ou avec le bois, mais on s’attache à eux et à ce qu’ils nous racontent et au final on sent des gens vrais.


Même les passages très pratico-pratiques des employés municipaux qui ramassant les feuilles, des agents qui définissent quels arbres abattre, des personnes en combinaison chargées de collecter les déchets, des “aménageurs” qui gèrent la forêt comme on le ferait d’une entreprise ne sont pas inintéressants.
Au contraire ils nous rappellent que nous sommes dans une annexe de la ville, où même les rivières sont factices mais n’empêchent pas la vie de se déployer.
A l’image de la vie privée des grenouilles que nous observons en voyeurs, oubliant que c’est exactement ce qui nous surprenait quelques minutes plus tôt quand on découvrait les rencontres des homosexuels ou l’interview de la prostituée.


Le documentaire est rythmé pour nous faire ressentir la complexité et la diversité de ce bois, sorte de ville dans la ville, un poumon de fumeur qoù on fait mine de chercher un retour à la nature dans un espace pourtant aménagé et qualibré. Pourtant ce qu’on voit n’a rien d’artificiel, et le film met en lumière l’homme qui s’adapte à son milieu, qui s’approprie le lieu pour l’intégrer dans son univers. Tels les exilés qui racontent leur attachement à leurs racines, leurs origines tout en trouvant un réconfort dans le bois.


Difficile de s’identifier à quelqu’un tout en se reconnaissant un peu dans tous, à l’image des randonneurs qu’on aperçoit à l’arrière plan lors de la cérémonie cambodgienne, nous sommes les visiteurs effacés d’un monde qui devient soudain bavard.
Si on passait à côté des tentes du bois de Vincennes, on éviterait de déranger les gens qui y vivent, sans oser leur parler, et là soudain ils prennent un visage et ils s’expriment sur leur quotidien, sur la vie en général, sur tout et n’importe quoi, ils prennent une épaisseur qu’on peine à imaginer quand on ne fait que passer.


On rit beaucoup devant ces portraits qui évoquent immanquablement l’émission strip tease, on pourrait penser que c’est pour se moquer de situations ou réflexions saugrenues, mais souvent c’est par tendresse devant des gens qui ont des passions, des manies, des habitudes qu’on aborde rarement. La façon dont chacun se confie à la caméra révèle une vraie confiance avec la réalisatrice et empêche de penser qu’elle rit de ses sujets. Elle en sourit sans doute avec eux d’ailleurs, plus complice qu’accusatrice ou juge.


Malheureusement le documentaire échoue à charmer totalement parce qu’il est trop long: certaines coupes auraient pu lui faire gagner en efficacité, mais d’après le producteur le choix de ne garder que ces passages alors qu’ils en existait encore bien d’autres a déjà été délicat, et on ne demande qu’à le croire.


“Le bois dont on fait les rêves” est peut être fait de hêtres mais il est surtout peuplé d’êtres, qui ont tous quelque chose à dire.
Le film ne ment ni sur son titre ni sur son affiche qui annoncent tous deux la délicatesse et l’originalité de ce qui nous est proposé.
Une belle découverte

iori
7
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le 6 avr. 2016

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