Toute la tension du Bonheur tient dans "la musique heureuse de Mozart, sa légèreté qui brise le coeur", pour reprendre les mots d'Agnès Varda cités dans une chronique de France Musique faisant hommage à l'artiste qui nous a quitté le 29 mars 2019. En tout juste une heure vingt, Varda dresse le tableau aux apparences faussement lumineuses de la famille Chevalier, dans la France des années 1960. La scène initiale revêt des touches impressionnistes, à la faveur d'un déjeuner sur l'herbe, alors que se dessine un pont japonais similaire à celui du jardin de Giverny.


Thérèse, couturière, et François, menuisier, passent un dimanche à la campagne avec leurs deux jeunes enfants. Un dimanche particulier car jour de la fête des pères. Un dimanche pourtant assez commun et significatif, puisque la célébration du père, de l'homme, du patriarcat, semble ne jamais se finir. Thérèse travaille, élève les enfants, cuisine, repasse, tandis que François fait la rencontre d'Emilie, employée du bureau de poste, avec laquelle il commence une relation adultère. Plusieurs scènes en disent long sur le climat de sexisme général, qui se distille sans bruit dans le quotidien: à l'atelier de menuiserie, au café, au lit, quand François compare Thérèse à une plante et Emilie à un animal, pensant tenir un discours honnête devant son amante.


Le génie de Varda tient au fait qu'elle emballe cette atmosphère délétère dans un artifice de couleurs, de musique et de tons légers. De sorte qu'elle retranscrit avec brio la situation d'aveuglement sourd dans laquelle la société nous place, qui nous fait avaler sans broncher la pilule de la condition féminine.


Les couleurs - le bleu innocent d'une chemise, de la pièce à vivre familiale - et le rouge - de la boucherie, du café La Château, du Soleil couchant -, très ambiance Nouvelle Vague et Jacques Demy, servent tout à fait la visée de la réalisatrice: enchanter pour mieux faire déchanter. Plasticienne, la réalisatrice sculpte aussi les corps avec sa caméra ; des corps dansants au bal de la Saint-Jean ou ceux couchés des deux amants.


Tout en subtilité, Varda nous fait passer des tournesols de l'été aux feuilles de l'automne, des rayons chauds du Soleil à la douche glaciale d'un étang. Glaçant, le film l'est dans le silence assourdissant qu'il donne à la question clef: est-ce ça le bonheur? La fin est sans dialogue mais tout en musique. On assiste sur la ritournelle de Mozart, qui reprend de plus belle, au retour de la scène familiale champêtre. Comme l'éternel retour de l'oppression des femmes, saison après saison.


Mais face à l'hiver du sexisme mortifiant, Varda a participé et participe inéluctablement au printemps de notre émancipation.

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le 7 avr. 2021

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Emilie Rosier

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