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Appréhender l'Italie berlusconienne

C'était l'une des grosses attentes de la quinzaine cannoise 2006, Nani Moretti, l'un des plus importants cinéastes italiens encore en activité, prenait le risque de faire le premier film de fiction italien attaquant frontalement "l'Italie des 30 dernières années, c'est-à-dire Berlusconi" (dixit Moretti lui-même).


Comme ce dernier, réélu tout récemment, l'a dit plusieurs fois, c'est le peuple qui l'a élu et réélu. Du pain béni pour Moretti qui décide de prendre au mot Berlusconi et de planter comme personnage principal la caricature même de l'Italien moyen (qui parle fort, qui mange des pizzas et qui encourage son fils footballeur) pour mieux attaquer Berlusconi sur son terrain, pour voir si l'Italien de base est vraiment un sympathisant forcené du président du Milan AC et du paysage audiovisuel italien.


Cet Italien lambda, c'est Bruno Bonomo (Silvio Orlando), producteur de films de série Z dans une situation professionnelle et sentimentale au bord de l'explosion. C'est alors qu'il reçoit des mains d'une jeune femme un scénario. Il le lit en transversale, s'extasie pour des raisons peu cinématographiques, et accepte de le produire. Seulement, ce film retrace l'ascension de Berlusconi. Difficile situation pour celui qui avoue un peu plus loin avoir voté pour lui, comme ça, sans réellement savoir pourquoi.


La thèse de Moretti, c'est que chaque Italien est un pro-Berlusconi en puissance. Pour le prouver, quatre fois dans le film, nous verrons des images du fameux scénario mis en scène : trois personnes différentes y jouant le rôle de Berlusconi, dont Moretti lui-même lors de la dernière séquence.


Moretti n'a pas fait un film sur Berlusconi, mais sur l'emprise qu'a eu Berlusconi sur l'Italie (et qu'a toujours, si on regarde l'actualité). Une emprise tant sur le plan politique et général que sur le plan personnel, dans la vie de chacun.
Plus intelligent et malin que la grande majorité des réalisateurs de films politiques récents, Moretti a eu le flair d'insérer des images d'archive du "Cavaliere" dans différentes situations qui montrent son manque évident de tact démocratique, tant il suffit de montrer Berlusconi lui-même pour s'apercevoir de ce qu'il est. Évidemment, ce film ne nous apprend rien sur Berlusconi, tout ce qui y est dit est déjà su de tous. On pourrait lui reprocher d'enfoncer des portes ouvertes, mais Moretti s'en défend. Le personnage qu'il interprète le dit bien lors d'une conversation en voiture : "On le sait tous déjà mais si on ne dit rien, ça va continuer".


La grande force du film, malheureusement reléguée dans la seule dernière séquence, est cette apparition de Moretti dans le rôle de Berlusconi, dans une voiture noire. Berlusconi est ici totalement terrifiant, menaçant, Moretti disant en un plan ce que tous les autres réalisateurs (Karl Zéro, Michael Moore, Sabrina Guzzanti ou même Les Guignols) s'attaquant au sujet des dictateurs mous de nos démocraties contemporaines n'ont jamais su dire en tant de films. Parce qu'il est facile de faire un film pour s'en moquer, pour les montrer dans leur ridicule. Berlusconi, Chirac, Bush, avant Thatcher et maintenant Sarkozy ne sont pas simplement les désespérants rigolos qu'on voudrait nous faire croire. On oublie, en nous les représentant ainsi, qu'ils sont d'abord et avant tout le reflet grossissant de nos démocraties malades et qu'il serait plus que temps de stopper les rires pour commencer l'action.

ukhbar
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le 18 déc. 2010

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