On savait Berlusconi parfait lecteur de La Boétie, capable d'endormir l'élan vers la liberté d'un peuple par le spectacle abêtissant. Empereur de la Rome décadente, talentueux chef d'orchestre de la télé-réalité et du show-business, il a inauguré une ère politique nouvelle en comprenant mieux que quiconque la faiblesse de la démocratie : son rapport à la Vérité. Nanni Moretti éclaire ici l'autre face du Janus (face complémentaire) : celle d'un froid "Seigneur du Mal" ne reculant devant rien, Prince calculateur, suçant jusqu'à la moelle les richesses d'un pays et ne laissant derrière lui que ruines en flammes. On a dit que la principale activité de l'appareil judiciaire italien durant la magistrature du mafieux était la légitimation de ses actes. Dans le film, le palais de justice devient ce théâtre. Le caïman (imité plus tard par Nicolas Sarkozy) prévient : on ne juge pas de la même manière un simple citoyen et celui qui dirige les rênes du pays. Mais l'avertissement ne trouve pas l'oreille de la juge apparemment peu familière de Machiavel. Seul Moretti a la lucidité pour l'entendre : il faut une imagination puissante pour être persuadé du pire. Obsédé on l'aura compris par la figure du Duce moderne, Moretti ne l'évoquait dans Aprile qu'avec une double distance : en fumant de l'herbe devant l'écran matérialisant la propre mise en scène du marionnettiste. Dans Il caimano, Moretti incarne lui-même, comme acteur, le politicien honnis. Et comme on sent presque dans la scène finale une jouissance à exercer la toute-puissance, l'autorité semble s'étendre - mise en abîme du processus de tournage d'un film - à l'acteur qui joue le rôle, lequel n'est autre que le réalisateur. On verra dans Mia Madre Moretti poursuivre cette ébauche et se complaire à représenter la tyrannie d'un metteur en scène, ses colères. Donner corps aux excès de l'omnipotent réalisateur.