Il y a une époque où le cinéma français regorgeait de films qui se ressemblaient tous les uns les autres, le royaume des faiseurs. Dans la catégorie film de durs, Gabin et sa gifle magistrale dominait la production. On adaptait Simonin, Simenon (comme ça même les noms d'auteurs se ressemblaient), et d'autres encore, et on fabriquait des ambiances à la pelle. Forcément, dans cette marée, la qualité était pour le moins fluctuante.
Difficile de trouver un réalisateur qui incarne plus cela que Gilles Grangier, cinéaste de chevet pour certains, représentant idéal de l'ennui à la française pour d'autres.
Et sans doute, il est les deux. Car si pas mal de films (Le rouge est mis, par exemple) sont effectivement d'un intérêt plus que médiocre, d'autres (125 rue Montmartre, disons) valent carrément la peine. Et vu ma note, on se doute de la catégorie dans laquelle je range Le cave se rebiffe.
La trilogie du grisbi, de Simonin, il est de bon ton de la ranger parmi les monuments du polar français. Argot réjouissant, personnages hauts en couleur, Simonin était inimitable. Forcément, on a voulu l'adapter. Le premier tome, c'est Touchez pas au grisbi, adapté par Jacques Becker. Le troisième tome, Grisbi or not grisbi, c'est Les tontons flingueurs, qu'on ne présente plus, dont les dialogues sont un cri de ralliement des dîners en famille. Combien de fois avez-vous répété : Y en a? Ou bien, en écoutant un discours politique : Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît? Le deuxième tome, qui nous occupe ici, c'est donc Le cave se rebiffe.
Du roman de Simonin, pas grand chose ne sera gardé : la trame principale, si l'on n'y regarde pas de trop près, est bien là, mais quand même, c'est léger. Quant aux personnages, il manque même l'inénarrable Max le menteur, pourtant narrateur et personnage principal de l'histoire. A la rigueur on peut identifier Bernard Blier avec "le gros", en tant qu'ancien tenancier de maison close, ça pourrait coller. Et puis bien sûr il y a Jean Gabin alias "le dabe", qui lui est bien dans le roman.
Le cave se rebiffe est avant tout une comédie, ce qui d'ailleurs ne jure pas avec le roman de Simonin. On sent tout le plaisir qu'ont les acteurs de jouer, avec en tête un Gabin en grande forme, qui cabotinerait presque. Et si on peut regretter le manque de suspens, car l'intrigue glisse sur des rails jusqu'au dénouement parfaitement attendu, l'essentiel est bien sûr dans ces grands dialogues aux phrases réjouissantes signées, comme de juste, Audiard. Et là, c'est un festival. Comme souvent dans ce genre de cinéma français, Le cave se rebiffe est un film qui s'écoute plus qu'il ne se regarde, un film où la vacuité même des dialogues est leur plus grande force car, libérés du souci de l'intrigue, libérés du souci de la crédibilité, ils peuvent s'étaler et prendre toute la place, et pour finir on ne se souviendra, le temps passant, que de quelques "punchlines". Un film de Michel Audiard plus que de Gilles Grangier donc. Mais ces "punchlines" en question, on en gardera un souvenir attendri, et on aura l'impression qu'elles valent un film.