A première vue, c'est une histoire de casse méthodiquement pensé, mais c'est un polar beaucoup plus complexe que ça, et dépourvu de tout rôle féminin, ce qui est déjà très singulier. C'est sans doute le film le plus emblématique de Melville, celui où il synthétise ses films précédents, en laissant percer encore plus que dans le Samouraï des ambitions métaphysiques, et en faisant l'inventaire presque complet d'un genre essentiellement américain. Melville dirige le spectateur à travers les méandres d'une intrigue à suspense, d'une narration sèche et abstraite, où cette intrigue repose plus sur un jeu cérébral que sur un engagement physique, et finit par prendre ses personnages et le spectateur dans une toile d'araignée, au gré de son fétichisme étrange de l'objet poussé à l'extrême (le chapeau, le revolver...). Il y a aussi un sentiment poignant de solitude et une obsession de la mort qu'on devine sur les visages, car Melville aborde ici le thème du vieillissement à travers des hommes déchus et usés, condamnés à la solitude ; peut-être est-ce même accentué par le visage de Bourvil qui tournait là son ultime film quelques mois avant sa disparition, et qui se révèle formidable dans un rôle de commissaire déterminé, on est loin du Bourvil gaffeur et comique, à tel point qu'il apparait au générique avec son prénom (André Bourvil). Melville avait d'ailleurs choisi Lino Ventura pour incarner le commissaire Mattei, mais la sobriété de Bourvil s'accorde en fait très bien à la perfection glacée de ce polar silencieux (à l'image de la scène du casse), puissant et onirique, aux acteurs parfaitement dirigés.