Rouge ou pas... la quadrature du cercle ! Quand Montand prend sa revanche sur "les habitants du placard"...
Franchement, si j'avais été un jeune critique de six semaines, j'aurais mis un10/10 à ce film...
Seulement voilà... Je ne le suis plus. J'ai vu et lu beaucoup de choses sur Melville (son pseudo pendant la guerre) de sa réelle identité Jean-Pierre Grumbach ((1917-1973)... Or, dans la famille Grumbach, on était tous cardiaques et on mourrait jeunes... Le père était mort prématurément, lui aussi...Dans une de ses interviews, et pour justifier qu'il soit aussi infect pendant ses tournages qu'agréable dans sa vie quotidienne, il confiait :
"J'ai pris l'habitude de ne jamais être satisfait ! Situation fort commode (...)"
D'où le perfectionnisme qu'il attendait de ses comédiens, comme de lui-même d’ailleurs : il les harcelait jusqu'au clash ...Belmondo, Ventura entre autres, ne savaient plus le voir en peinture...
Ce film aurait pu être une petite merveille seulement voilà,
Alors, pourquoi serais-je moi, satisfait de lui qui ne l'est pas lui-même ? Je vous le demande !
Les perfectionnistes sont toujours malheureux et trop exigeants avec les autres...
Ce film dure 140 mn et on ne s'ennuie pas une seule seconde : plutôt rare... Pourtant, il y a de très longs moments de silence... Comme pendant le casse ou aucun dialogue ne vient troubler le pillage d'une bijouterie... Ce qui m'a fait penser et rappelé "Topkapi"...
A certains moments, le suspense égale même à mes yeux le maître du genre : Hitchcock soi-même...
Si Melville mettait beaucoup de soin à écrire, s'infligeant l'obscurité, les volets fermés (...) pour ne pas se laisser distraire, s'il passait beaucoup de temps en repérages et à auditionner les meilleurs passages musicaux, il délaissait malheureusement d'autres aspects d'un tournage...
Aucun humour dans ce film : pourtant, c'est comme une bouffée d'oxygène dans les moments d'angoisse et ça ajoute à la véracité du récit... Aucun souci non lus des trucages ou effets spéciaux : comme certains me l'objectent : à quoi bon la réalité et le souci du détail ? Ce n'est qu'une fiction après tout ! Et que de manies comme si c'était des "tocs" cinématographiques...
Tous les prestidigitateurs vous le diront : il ne faut jamais recommencer un tour de magie devant un spectateur ! La première fois, il se laisse subjuguer par vos mysdirections car il ne sait pas ce qui l'attend... A la seconde, il est plus attentif et risque de découvrir le "truc".... Assez étonnamment, les enfants sont les plus rapides à comprendre le tour... C'est ce qui arrive aussi quand on a vu aussi souvent un film comme c'est le cas pour moi avec ce "cercle rouge" !
Voici une liste de ratés qui est loin d'être exhaustive....
- Après son séjour en Amérique, Melville était mordu de tout ce qui sortait du pays de l'oncle Sam... Y compris des voitures de là-bas ! Les deux belles américaines qu'on voit, une Plymouth et une Pontiac, n'étaient pas des voitures de location mais appartenaient réellement au réalisateur ! On en voit une aussi dans "Un flic" du même auteur... Or elles avaient tout pour ne pas séduire le français moyen ! Gloutonnes comme pas possibles, chères y compris à assurer et c'était de vraies chaloupes en raison de leurs poids. Bon si on aime et qu'on ne compte pas... Mais de là à s'en servir pour dévaliser une banque, on aurait pu faire mieux au niveau de la discrétion carq ue DS Citröen de 'époque eut pu passer plus facilement incognito ! Je ne parle pas non plus de la nervosité de ces engins en cas de fuite !
- Le film commence avec le convoyage d'un détenu dans un wagon-lit (WL)... Courageux et original de la part de Melville car faire la "belle" en train est quand même incroyable et inédit pendant que le convoi est en marche et à au-moins 140 km/h ! Compte-tenu des budgets de l'univers carcéral, il aurait été étonnant que le ministère de l'intérieur paie un tel luxe à un taulard.. Ou même que le conducteur de WL le tolère (comme un commandant de bord dans un avion) D'autant que les trains acheminant ces wagons nocturnes comportaient aussi des compartiments-couchettes...
- Le détenu est convoyé par un commissaire ! Étonnant qu'un fonctionnaire de ce grade ait reçu une mission aussi peu glorifiante et en rapport avec son niveau hiérarchique de rémunération ?
- Je n'ai jamais vu de convoyage ferroviaire de détenu de nuit, encore moins par un seul gardien de la paix. La nuit favorise en effet la somnolence au détriment de la vigilance comme le démontre le récit !
- Les wagons qu'on voit sont radiés des inventaires, vraisemblablement en attente de ferraillage, comme en attestent leurs numéros d'identification rayés d'un trait horizontal.
- Sur le plan technique et du confort, ce matériel était du reste obsolète : pas de clim', des suspensions d'un autre âge, des structures mobiles qui couinaient, grinçaient et empêchaient les voyageurs de dormir !
- Il eut été impossible au candidat à l'évasion de détacher la sangle de suspension de sa couchette transversale : les deux étaient tendues sous le poids de leur occupant et il fallait soulever la couchette pour les débloquer de leur support de plafond...
- Même remarque pour le bris de la glace apparemment facile : les vitres de ces voitures étaient conçues pour résister aux chocs sonores et de déplacements d'air de deux trains se croisant à plus de 160 km/h ainsi qu'aux fréquentes projections de ballast... Elles résistaient même aux balles de fusils de chasse de certains tireurs abrutis prenant les wagons pour des lapins !
- Même chose pour les sauts à travers la fenêtre brisée, du malfrat et du commissaire à une telle vitesse. Impossible par ailleurs de retomber à angle droit comme on le voit sans tomber à cause de l'erre : les agents de manœuvres ferroviaires étaient du reste accoutumés à sauter puis courir dans le sens de la vitesse du train pour accompagner leur saut...
- L'action sur le signal d'alarme purge l'air comprimé de la conduite de frein dans un vacarme dépassant les 110 dB qu'ici on n'entend pas !
- J'arrête pour ce qui concerne le ferroviaire mais à un moment, l'évadé que Corey (Delon) a aidé dans sa fuite remonte se planquer dans la malle de la voiture avec un clope allumé ! La respiration n'a pas dû être facile...
- Aussi rare qu'en WL : un commissaire en hélico ! Coûteux et là, pas franchement nécessaire...
- Lorsqu'on veut neutraliser un vigile ou gardien de lieux, il est bien plus facile de l'anesthésier que de l'assommer. En outre, il est tout aussi risqué de le laisser sans surveillance.. D'autre part, l'entraver avec des liens n'est pas fiable : el forçant, ils se distendent... Des rouleaux adhésifs épais enroulés plusieurs fois sont bien plus efficaces !
- Aucun voleur d'envergure n'acceptera de faire un casse s'il n'est pas certain de pouvoir fourguer sa marchandise à un receleur ! Essayez donc avec de revendre la vraie "Joconde" !
- Or c'est ce qui arrive ici avec un vol de deux milliards de francs de bijoux ! Pas négociables !
- Quand Delon agite le volant de sa voiture, elle ne bouge pas d'un iota : heureusement, en ces années-là on n'était pas trop regardant sur les scènes d'un film policier, pas plus que sur les carabines de westerns à cent coups !
- A plusieurs reprises, on voit la Police tirer dans le dos d'un fuyard... Était-ce toléré en 1970 ? Pas si sûr...
- La liasse de billets aussi épaisse ne devait pas être autant imprégnée de sang compte-tenu de son épaisseur et du tissu faisant obstacle à la balle meurtrière et à l'hémorragie... Je vous laisse continuer la liste mais j'en oublie sûrement...
Cette idée de cambriolage était venue à l'esprit de Melville alors qu'il déambulait place Vendôme à Paris... Il se mit à imaginer si malfrat, la manière dont il cambriolerait la bijouterie Maubussin et inspecta les différents accès menant aux toits... Plus facile qu'il n'y paraissait !
Étrange casting : avant-dernier film de Bourvil avant qu'il ne s'éteigne à l'âge de 53 ans : il se savait condamné mais tournait encore malgré ses souffrances. Il mourra avant la sortie du "Cercle rouge"et n'en verra pas le succès triomphal : 4,3 M de spectateurs... D'ailleurs, l’œil expert du cinéphile averti et pointilleux découvrira un acteur pas comme à son habitude : on se demande s'il se sentait aussi à l'aise dans ce film que dans les autres où il joue un rôle on ne peut plus sérieux.
Avant dernier film de Melville aussi (1917-1973) son chant du cygne qu'"un flic" n'arrivera pas à dépasser en fréquentation de public, et une cinquième place au box-office, l'année où le "Gendarme en ballade" trônait sur le podium... Le genre polar séduisait toujours les foules mais traité avec humour, le public l'appréciait d'avantage... Hélas, Melville avait le défaut était d'en manquer . .
Aucune femme ou presque dans ce récit : Melville, quoi qu'aimant beaucoup, beaucoup beaucoup les femmes selon son neveu, faisait avant tout des films d'hommes ou disciplines et sens de l'honneur sont de rigueur... On ne verra que brièvement une étoile filante du cinéma : Anna Douking sortir nue du lit de son amant et écouter à travers de la porte ce que lui racontait son ancien compagnon (Delon)
Nul ne savait que Bourvil était sous morphine et par moments ça se devine (le réalisateur habitué à torturer ses acteurs, le savait-il ?) A moins que le réalisateur et sa légende ne l'intimidât ? Avec Melville, les comédiens savaient qu' un tournage n'était jamais une partie de plaisir au point que les plateaux de tournage de Jenner où résidait Melville avant d'être détruits par le feu, se muaient parfois en ring...
Bourvil était--il fait pour ce genre de composition ? Il voulut faire sourire une fois encore... Vers la fin du tournage, il enregistra une séquence non montée où il demande à son adjoint : "Sais-tu comment j'ai trouvé le coupable ?" puis répondit enchaînant sur une de ses chansons fétiches : "Grâce à la tacataquetique du gendarme..." que Melville avait conservée en souvenir
Il mourra sans avoir connu le triomphe de ce film :.Ce sera aussi l'avant-dernier film du réalisateur qui décédera lui, trois ans plus tard..
Mais ce très long polar offre un bon moment de suspense et on ne s'ennuie pas une seconde ! Un film qui restera dans l'Histoire du Cinéma... Melville en eut été comblé... Un Melville et son perfectionnisme maladif : ça ne se refuse pas...
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Paris Première le 16.05.2017- France 5 le 30.06.2023- TV5 Monde le 07.11.2023-C8 l(1) le 14.01.2024-10.09.2024-
Un des meilleurs Melville, un des meilleurs Delon : c'est dire !
(1) C8 n'autorise pas les enregistrements avec une Bbox du FAI Bouygues... Navrant ! Il devrait perdre sa fréquence en 2024. Malgré les avertissements.