Arthur et Anatole (Jean-Paul Belmondo et Bourvil) sont deux petits escrocs sans grande envergure qui ont pourtant de grandes ambitions : en prison, Arthur a entendu parler d’un convoi ferroviaire transportant les fonds secrets des 14 pays membres de l’OTAN de Paris à Bruxelles. Avec l’aide d’Anatole, il compte bien faire en sorte que cet argent n’arrive jamais à destination… Ce que les deux compères ignorent, c’est que le Cerveau (excellent David Niven), bandit à la réputation internationale, a également planifié avec ses hommes de braquer le train en question. Mais le Cerveau ne sait pas tout non plus, car il s’est amouraché d’une Sicilienne (et on le comprend, puisqu’il s’agit de la sublime Silvia Monti), dont le frère mafieux (Eli Wallach) est très jaloux, et très vexé d’être si peu considéré par le Cerveau, ce qui le pousse à chercher comment doubler le criminel dans cette affaire. La nuit du braquage approche, et elle va être très bizarre pour tout le monde…
Pas tant pour le spectateur, cela dit, qui sera peut-être le seul à trouver son plaisir face au spectacle de cette nuit de folie. Il faut dire que Gérard Oury a mis les petits plats dans les grands et nous convie à un de ces festins dont lui seul a le secret. Le triomphe de La Grande Vadrouille lui a ouvert des portes et le réalisateur compte bien les emprunter. Avec Le Cerveau, il voit donc encore plus grand et profite d’une production internationale pour réaliser un de ses films qui s’apparente peut-être le plus à la catégorie naissante du « blockbuster » (si on accepte d’élargir son champ de désignation au cinéma français).
Le Cerveau a en effet tout du blockbuster : un casting international doté de jolies têtes d’affiche, des séquences d’action parfaitement orchestrées, des moyens colossaux financés par une production peu avare… On ne peut qu’être ébloui par ces moyens qui semblent illimités : trains blindés, toute la panoplie des véhicules de la gendarmerie, une reproduction intégrale de la Statue de la Liberté de plus de 13 mètres, et surtout le paquebot France, immortalisé dans une des scènes les plus marquantes du film. Cette débauche de moyens paie largement, tant le scénario réussit à tous les mettre en valeur.
Le scénario, justement, est sans doute un des plus construits de la filmographie de Gérard Oury, lorgnant plus du côté de ses meilleures réussites, telles que La Grande Vadrouille ou Les Aventures de Rabbi Jacob que du côté de ses scénarios-prétextes type La Vengeance du serpent à plumes. Ici, Oury emploie un magnifique MacGuffin et caractérise admirablement les trois camps dissymétriques qui se battent autour. L’aisance avec laquelle il s’amuse à faire passer son MacGuffin de mains en mains, et à mettre en place des quiproquos hilarants à partir de cela, impressionne. On se croirait chez le Goscinny de la plus grande époque !
Ainsi, son pitch est exploité de la manière la plus complète qui soit, et on se réjouit à chaque scène de voir le film aller exactement là où il doit aller pour être le plus solide et le plus cohérent possible. Tout s’enchaîne avec une fluidité que peu de comédies de ce type et de cette époque peuvent se vanter d’avoir.
Bénéficiant de comédiens extraordinaires, de gags très solides et d’un scénario en béton armé, Gérard Oury réussit alors à mettre en scène peut-être les meilleures séquences qu’il ait filmées. En tous cas, même si La Grande Vadrouille et Les Aventures de Rabbi Jacob resteront à jamais ses films préférés, l’auteur de ces lignes n’a aucun mal à voir dans la scène d’exécution du braquage un des plus hauts sommets du cinéma ouryen (oui, je tente). Chaque détail y est exécuté avec une précision mathématique, qui unit le suspense et l’humour dans un cocktail que seuls les plus grands génies savent créer. Un sens du suspense et du timing comique extraordinaire que seule la scène de la fusillade dans les feux d’artifice peut prétendre égaler, sans doute une des scènes (je n’ai pas osé dire « LA » mais je crois que je le pense) les plus cinématographiques que le réalisateur ait eues à filmer.
Que dire alors du final au Havre, où tous les personnages se croisent et se recroisent dans un ballet impeccable d’organisation et source d’un humour toujours croissant ? Non, décidément, il n’y a pas à discuter, Le Cerveau est une des plus grandes comédies de son auteur, qui lui vaut largement le titre que j’ai envie de lui décerner depuis longtemps : le Blake Edwards français.
Pour trouver un tout petit défaut au film quand même (outre son générique d’ouverture d’une laideur incommensurable), notons que Georges Delerue a composé pour Le Cerveau sa plus belle composition, une certaine Grande Valse, qu’il n’eut jamais l’occasion de faire entendre au complet sur grand écran (sauf un tout petit bout dans la scène de la pluie de billets, au Havre), puisque Gérard Oury fit annuler ce morceau prévu pour ouvrir le film au profit d’une chanson certes très sympathique, mais pas au niveau du morceau majestueux initialement prévu par Delerue…
Ça méritait bien un petit hommage posthume en conclusion.