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Le Chant de la Mer : un conte moderne
« Idir ann is idir as... »
Lorsque l’on entend « film d’animation », souvent on entend ''Disney''. Et en effet, la boîte qui va bientôt dominer le monde a créé des films qui ont été non seulement des succès mais qui resteront dans l’imaginaire collectif pendant des années. Ces films sont aussi connus qu'appréciés (par le grand public, parce que moi…). Beaucoup pensent aussi au studio Ghibli, ou encore à Dreamworks, un studio japonais et un studio américain qui offrent tout autant de bons films que Disney. Ce qu’on oublie souvent, ce sont les petits studios créant des petits films indépendants.
Pour ma part, tout comme les films en prise de vue réelle, j'aime bien me pencher sur les oubliés, les inconnus ou les petits budgets. La Tortue Rouge, le Secret de Kells, Tout en haut du monde... Ces titres qui passent plus facilement dans mon cinéma de quartier qu'un Godzilla de par leur statut de ''petit film''. Et pourtant, je les aborde avec autant de respect que quand je découvre un nouveau Disney ou Dreamworks. Et c'est souvent pour le mieux car, loin des standards dictés par les grosses compagnies, on nous offre des petits bijoux pleins de surprises. C'est ainsi que j'ai découvert le Chant de la Mer.
Seulement, de nombreux films à petits budgets aujourd’hui aiment utiliser l’image de synthèse, et quand on n’a pas de budget, ça se ressent. L’exemple que j’ai en tête est celui de Balerina, mais je pourrais aussi citer toutes ces séries d’animations qui sortent en ce moment : le visuel est fade, parce qu'il n'y a pas assez de budget pour gérer les textures compliquées, les cheveux ou les vêtements. Quand aujourd'hui on voit des films comme Toy Story 4 qui ont des textures de vêtements où l'on voit les coutures, ou des chats qui font extrêmement réalistes, on ressent clairement qu'il manque quelque chose lorsque sort un film à petit budget où tous les personnages ont les cheveux courts ou attachés pour cacher le fait qu'on ne peut pas animer correctement les cheveux.
Pour le dessin 2D, bien qu’il soit parfois magnifique, comme dans Souvenirs de Marnie, j’aime bien quand ça innove, tel la Tortue Rouge, où les dessins très simplistes donnent au film un goût d’œuvre d’art qui n’est pas tape à l’œil, mais où la simplicité ressort énormément. Ou bien évidemment comme dans Klaus, où l'on innove le dessin 2D pour lui donner un effet 3D.
Comme pour Klaus, Cartoon Saloon a décidé d'utiliser sa propre patte artistique pour son film. Sorti en 2009, le Secret de Kells démontrait un usage tout à fait unique des perspectives et de la couleur dans l'animation : mêlant dessin à l'aquarelle avec dessins sur l'ordinateur, les personnages évoluaient dans un décor plat rappelant les enluminures de livres sacrés.
Le studio prenant plus vite la main, pour son deuxième film, le Chant de la Mer possède beaucoup plus de détails et de finissions que son prédécesseurs. Ainsi, Maïna et Ben possèdent beaucoup de détails dans leurs apparences, les décors sont extrêmement travaillés, pleins de couleurs changent au fil de la météo, tandis que les lumières offrent un tout nouveau jeu dans la mise en scène.
Si le Secret de Kells possédait le visuel du livre de Kells, celui du Chant de la Mer se rapproche beaucoup plus des illustrations d'un conte pour enfant. Ainsi, toute l'introduction du film ne comporte quasiment pas de perspective, on se perd dans les images au bords floutées et où les personnages évoluent dans un cercle constant. C'est absolument magique et poétique.
Tout comme dans le film précédent, le jeu des formes et des couleurs est présent afin de montrer à notre subconscient si un endroit est dangereux pour le personnage ou non. Ainsi, les personnages évoluent dans des décors aux formes rondes dans les lieux réconfortants tels la chambre de Ben, le Puits sacré, le terrier du Petit Peuple... Alors que la chambre de la grand-mère, le bateau de Dan, la ville ou le bus sont anguleux, carrés, pour montrer qu'il s'agit d'endroits effrayants et inconnus.
Le jeu des formes ne s'arrête pas là, puisque au long de l'histoire on peut voir, par exemple, des poteaux électriques qui ont la forme des hiboux de Macha, ou bien on peut remarque que Jo, le chien, qui a la même forme et couleur que les phoques.
Leurs maisons sont quasiment identiques avec le même poste de radio émettant la même chanson ; la grand-mère possède une perruche et lave des pots en verre, puis quand elle est submergée par ses sentiments, dit « Je dois prendre mon médicament » et dévisse un pot en verre. Macha prend elle-même ces « médicaments » en dévissant des pots en verre, est toujours vue avec des hiboux, et est la mère de Mac Lir.
Conor, le père de Maina et Ben, a, comme Mac Lir, perdu quelqu'un et passé des années à pleurer. Sa mère pensait l'aider en lui enlevant ses enfants, comme Macha pensait l'aider en lui enlevant ses sentiments, mais les deux actes n'ont fait qu'aggraver les choses.
Le parallèle est appuyé par le physique mais aussi principalement par les poses : Conor se tient souvent un peu voûté, immobile. Enfin, il le dit à la fin, « j'étais comme pétrifié ».
Dan, le conducteur du bateau, est le miroir du grand Seanachai. Les deux font office de passeur à Ben, ils leur montrent le passage : Dan mène Ben chez sa grand-mère et Seanachai mène Ben chez Macha. Les deux appellent respectivement la grand-mère et Macha une « sorcière ».
Il est un peu plus difficile de trouver un double à Bruna, puisque les deux ne sont pas des personnages qui influent directement l'histoire. Bruna est cependant toujours présente dans l'esprit de Ben, elle est celle qui le motive à avancer, et son souvenir le protège.
Tout au long du film, on peut remarquer qu'il y a énormément de statues de la Vierge Marie : en ville, dans le Puits sacré, chez la grand-mère... Enfin, dans la scène du bus, la silhouette de Bruna apparaît dans le ciel, et elle ressemble à la silhouette de la Vierge.
Ce symbole de la Vierge est important puisqu'il montre la prédominance du christianisme chez les celtes. Dans ses trois films, le Secret de Kells, le Chant de la Mer et le Peuple Loup, Tomm Moore aime bien montrer avec une certaine douceur le choc des cultures entre les païens qui font parti du folklore celtique ancien (Aisling pour Kells, toutes les légendes du Chant de la Mer et Mébh pour le Peuple Loup) et un personnage qui va être plus chrétien sans pour autant vouloir brûler ces païens (Brendan, Bruna, Robyn).
Enfin, Ben et Maina sont les seuls à ne pas avoir de doubles. Ils sont les seuls à être la passerelle entre les deux mondes, Ben étant un humain et Saoirse une créature magique.
En effet, en anglais, le nom de Maina est Saoirse signifie liberté en gaélique, langue venant d’Irlande et d’Ecosse. Sa prononciation étant difficile à imaginer et ne voulant sans doute pas l’écrire ‘’Sircha’’, en version française, ils ont renommé le personnage principal Maïna. Ce prénom plutôt joli, a une origine bretonne et signifie parfois « princesse de la mer », ce qui va plutôt dans le sens du film.
Pour Bruna, la mère de Ben et Saoirse, le nom français n'est qu'une simplification du nom anglais qui est Brunagh. Ce prénom, le même que celui de la mère du réalisateur, signifie ‘’chagrin’’, ce qui annonce plutôt bien l’histoire du personnage, et des selkies en général.
Conor, le père, n’a pas vu son prénom modifié en français. Et ce dernier signifie « désir », ce qui s’explique par son envie d’être avec sa femme tout le long du film.
Enfin, on a Cú, rebaptisé Joe en VF, pour une raison obscure. En effet, alors que Joe n’a aucune signification allant dans le sens du film, Cú veut dire « gros chien » ou « molosse » en gaélique, ce qui bien évidemment correspond au personnage.
Je conclurais en parlant de la musique. Composée par Bruno Coulais, elle fait partie de mes bandes originales préférées. En effet, en comptant dans les instruments que j’aime le violon, la flûte, la voix non chantée et parfois la voix chantée, j’ai été transcendée par la composition. D’autant plus que la chanson the Song of the Sea est vraiment belle. Ainsi que la reprise de Dúlamán, un chant folklorique irlandais, qui est très entraînante. D’ailleurs, tout le long du film, Saoirse utilise un coquillage pour faire de la musique, et cela rajoute un son vraiment beau qui n’est malheureusement pas présent dans le CD.
Ce n'est pas souvent que j'écris de toutes petites analyse comme celle-ci. A l'inverse de son prédécesseur, le Chant de la Mer est un film très simple à comprendre mais qui fourmille de petites choses à connaître sur le folklore irlandais. Si il s'inscrit dans la tradition de Cartoon Saloon avec un choc de culture chrétienne et païenne sans aucune critique négative, avec un animal phare, un personnage qui peut se transformer, un animal de compagnie, une chanson, une figure paternelle massive et menaçante, la liberté, cependant, le film possède ses propres codes, avec celui de la famille, du pardon, du deuil, de la complexité de cette notion d'entre-deux, et surtout une prédominance de la mythologie celtique. Ainsi, si on ne nomme pas ce qu'est Aisling dans le Secret de Kells ou si on invente un terme pour désigner ce qu'est Mébh dans le Peuple Loup, dans le Chant de la Mer, on donne le nom des selkies, de Macha, de Mac Lir, du Petit Peuple... Et on explique qui ils sont. C'est ce qui fait que j'ai très vite été attaché à ce film, car ses inspirations sont claires et m'ont permis d'entrer dans le monde celtique. J'ai très vite été attiré par tout ça, et aujourd'hui encore j'adore les phoques, la musique celtique, les légendes... Et bien évidemment j'adore le film, qui est une vraie initiation à ce monde.