Une découverte un peu tardive pour ce film que l'on peut aisément qualifier de chef-d’œuvre.
Les décors, les différents plans débordent de tendresse et donnent envie - entre superposition et illustrations en 2D - de se mettre à l'aquarelle. Mais outre des musiques sublimes et un graphisme agréable, beau à l’œil, c'est toute une réflexion sur la famille, le deuil, les légendes gaéliques que l'on retrouve pendant 1 h 30.
Le film campe un frère et une sœur, Ben et Maïna, qui vont devoir, quelques années après la mort de leur mère - toujours omniprésente dans les légendes, histoires et chansons qu'elle a transmises à son fils - aller habiter chez une grand-mère paternelle au premier abord froide et stricte. En bon cliché, elle décide de ce qui est bon pour ses petits-enfants depuis le mode de vie jusqu'à l'habillement - déguisement - bien rose pompeux pour sa petite fille. Ce déménagement fait suite à une découverte quelque peu troublante : comme sa mère l'était avant elle, Maïna est une selkie - créature imaginaire ayant la capacité de se métamorphoser en phoque lorsqu'elle revêt son manteau magique. À leur arrivée en ville, chez la grand-mère, Ben et Maïna sont rapidement confrontés à des créatures magiques - le petit peuple qui a besoin d'aide, les hiboux de la sorcière Macha qui changent les gens en pierre en même temps qu'ils volent leurs sentiments... Toute une quête à mener en somme.
Et derrière cette première lecture – entre parcours initiatique, magie et créatures légendaires – en apparaît une seconde en filigrane – plus adulte – portée par des métaphores que l'on découvre sous-jacentes aux graphismes, dialogues...
Il y a celle assez visible du parcours initiatique des enfants, cachée derrière le mutisme de Maïna. Cette petite fille doit se construire en même temps qu'elle fait le deuil d'une mère morte en couche afin de trouver sa voix (sa voie ?) dans le respect ou en adéquation avec les valeurs transmises par la mère et transmises par procuration par les pairs à travers les légendes, chansons et souvenirs.
La seconde métaphore paraît plus discrète, bien que filée tout au long du film. C'est celle du deuil, de la souffrance, des antidépresseurs que l'on devine dans la première demi-heure – révélée par un « je dois prendre mon médicament » et que l'on cherche attentivement pendant toute l'heure suivante. Dans la légende que Ben tient de sa mère, c'est un géant effondré de tristesse qu'elle lui racontait et une mère – la sorcière Macha – qui n'a pas trouvé d'autre solution pour éviter ses souffrances que de lui voler ses sentiments et le changer en pierre. À partir de là, c'est la grand-mère qui a le même visage que la sorcière et une perruche au lieu de hiboux, le père qui possède le même profil que le géant pétrifié, des bouteilles vides au pied du lit... Et commence une réflexion sur les anti-dépresseurs – émotions en flacons gardés par la sorcière Macha toujours avide jusqu'à vivre par procuration – qui se clôt avec un père qui dévoile qu'il était comme pétrifié. Tout comme la frontière entre réalité et légende est floue tant les personnages incarnent ceux des chansons de la mère, la ligne temporelle n'est elle-même pas clairement définie. La naissance de la petite-fille et sa « renaissance » lorsqu'elle décide de rester avec Ben et son père, quitte à couper le lien particulier qu'elle a avec sa mère, ne pourraient être qu'un seul et même moment.
Au même titre que toute cette matière à creuser, le film donne envie de s'intéresser à la légende des selkies, pour interroger la relation des parents, et aussi à la culture irlandaise (à moins de regarder le film avec des Dublinois) pour comprendre la statue de Molly Malone, la signification de « feic off »...
Ainsi c'est un très beau film, tout en subtilités, un parcours initiatique plein d'humour, de magie, de difficultés et reposant sur la double adresse, la double lecture à recommander vivement aux adultes autant qu'aux enfants.