(Double critique)
Ayant lancé Le chant du Missouri tout juste après avoir terminé le très décevant chant du cygne de Melville – Un flic – je n'ai pu m'empêcher de me poser une simple question : pourquoi Le chant du Missouri, aux enjeux si ordinaires, est cent fois plus captivant que ne l'est Un flic, aux enjeux en apparence bien plus grands ?
La réponse tient justement dans la manière dont sont mis en scène ces enjeux. Dans Un flic, rien ne semble jamais avoir la moindre conséquence, si bien que tout finit par donner une triste impression de vacuité. L'amitié entre un flic et un faux barman (et vrai gangster) ? Cela ne servira jamais le récit, ne créera même jamais de conflit interne à ces deux protagonistes. Ce n'est pas l'histoire d'une amitié trahie mais d'une amitié qui ne semble jamais avoir eu réellement lieu. La relation entre ce flic et la maîtresse de son « ami » ? Pareil. C'est un épisode vide de sens narratif et d'émotions pour les personnages, qui aurait donné un film strictement identique s'il en était absent. La grande scène de braquage dans un train, qui occupe presque un tiers du film ? Pour les braqueurs, un coup légèrement plus important que les autres. Pour le flic, une affaire qui lui permettrait de coffrer quelques bandits ; mais rien ici qui ne viennent transcender leur quotidien ni à l'un ni à l'autre. Alors on passe plus d'une demi-heure sur cette action sans enjeu, et si le naturalisme déployé pour nous la faire vivre nous fait penser au Trou de Becker, on finit par se rappeler que ça avait du sens dans ce dernier car l'enjeu était fort réel, car nous craignions véritablement le moindre accroc dans le plan des protagonistes. Mais là... Peu nous importe que le coup réussisse, qu'il rate. Nous n'avons pas eu l'occasion de nous attacher ni aux braqueurs, ni au flic, qui ne sont que deux coquilles vides identiques peintes de couleurs différentes.
Mais revenons-en au Chant du Missouri. Ici donc, pas de grands enjeux de justice, de trahison. Pas de braquages, pas de meurtres, pas d'adultère.
Non, ici, les relations humaines sont réduites à une toute simple normalité, mais pas simplette pour autant. Nous n'avons là qu'une famille bourgeoise de St Louis, et les déboires enfantins et adolescents qui rythment la vie des jeunes sœurs. Deux jeunes filles amoureuses, une gamine espiègle, un père à côté de la plaque, et c'est à peu près tout ce que le film souhaite nous raconter.
Mais alors pourquoi est-ce si passionnant ? Cela ne tient pas à la qualité de la mise en scène, certes radicalement différente entre les deux films (froide, sobre et posée dans Un flic ; chaleureuse, chantante et dynamique dans Le chant du Missouri) mais d'un niveau sans doute équivalent : on parle quand même de Minnelli et Melville ! Cela ne tient pas non plus à la qualité des interprètes : Delon et Deneuve d'un côté, les merveilleuses Judy Garland et Margaret O'Brien de l'autre... Non, cela tient bien encore une fois à la manière de nous caractériser ces enjeux. Car si Le chant du Missouri est si prenant, si charmant, c'est parce qu'il sait nous faire percevoir avec une grande intensité les immenses bouleversements qui se produisent dans les psychologies de nos protagonistes... Et c'est ainsi qu'une séquence centrée sur une gamine qui a peur d'aller sonner aux portes des voisins à Halloween devient 1000 fois plus captivante qu'un braquage savamment préparé. Dans le chant du Missouri, on aime, on déteste, on est en colère, on pardonne, on pleure, on rit, on a peur. Dans Un flic, on ne peut qu'observer avec distance une intrigue morne et sans saveur. Le chant du Missouri est un film bien moins réaliste dans sa forme, et pourtant beaucoup plus réel dans son fond...
Bref, Le chant du Missouri est une découverte chantante et merveilleuse, que je recommande à tous les adeptes de l'âge d'or d'Hollywood ; et si vous êtes fan de Melville, je vous conseille en revanche de vous épargner Un flic.