J'éprouve à l'égard de ce film, qui est mon premier de Bunuel, des sentiments violemment contradictoires autant que contradictoirement violents, pour ainsi dire (rire feutré).
Même si, étant réac depuis l'âge de 13 ans, la perspective d'assister, comme le promettait le titre, à une satire de pauvres gens qui se moquant de l'éducation de leur grossier chauffeur ou faisant hypocritement éloge d'un pays d'où ils importent à peine illégalement des substances dont la loi a jugé bon de réglementer la consommation, fait toujours un petit pincement au coeur assoupi par une sédentarisation massive que je lui fait subir, je pensais pouvoir apprécier un divertissement un tant soit peu cynique sur une certaine classe.
C'est ce que je pense toujours, à condition que ce soit opéré avec une certaine classe, en fait.
"C'est invraisemblable!"
Un moment tout allait bien, et on était dans le subtil: l'omniprésence des rappels de hierarchisation dans les discussions, les "Excellence", "Colonel", "Monseigneur", "Madame", et autres "Lieutenant" qui s'entrechoquent entre les "Je n'en ferai rien", ou "Si vous insistez", on montrait -certes un peu caricaturalement- des épisodes choisis d'indélicatesse ou de bêtise voire de cruauté, des visions métaphoriques où on montre à travers notre companie allant nulle part sur un chemin de campagne désert que la richesse ou je ne sais quoi ne mène à rien,
et puis POUF! lentement le film sombre dans l'invraisemblance et un absurde dont ne sait trop s'il faut rire ou pleurer. Les passages oniriques du lieutenant semblent appartenir à un autre film, 30 ans plus vieux, et inexorablement la satire devient en réalité un procès avec le rêve de la "représentation" théâtrale et surtout le "grand" final. Une haine palpable envers non pas certains comportements généralisés, mais la demi-douzaine de personnages que forment la "troupe", j'allais dire les acteurs, que Bunuel avilit et rend méprisables entre l'ambassadeur corrompu qui grignote du gigot sous la table pendant que ses amis passent un mauvais quart d'heure, le soeur ivrogne qui vomit après littéralement 30 cl de rosé, ou l'évêque jardinier obséquieux et meurtrier. On s'avisera de répéter à la fin la scène de la vaine randonnée, au cas où on n'aurait pas compris la première fois. La mise en scène on oublie, et on s'attache à exhiber sans répit les travers de tout ce beau monde en frontal, le spectateur et la cohérence scénaristique et Bunuel en grand manitou surréel de l'Humanité se lèche les doigts après une dernière séquence génocidaire qui ressemble à un fantasme marxiste sous pellicule.
Je me rends compte au moment où j'écris ces mots que si avant j'ai pu avoir de réserves, peu de brûlots méritent qu'on s'y attache, et encore moins celui là.