Le charme discret d'un film de Bunuel se moquant de la bourgeoisie.
Encore un excellent Bunuel, après avoir vu récemment "Belle de Jour" (1967), très bon aussi, j'ai vu hier soir "le charme discret de la bourgeoisie" ; le film est charmant, sûr et certain. Mais la bourgeoisie ne brille pas particulièrement par son charme discret ou sa discrétion charmante.
La bourgeoisie est taillée en pièces, la bourgeoisie est une classe sociale déprimante, méprisante (les méprisants moi, je l'es méprise), à abattre ; non pas que j'en ai une aussi puissante aversion, mais Bunuel transmet une certaine haine à travers ses propos, ses plans, sa réalisation. Les bourgeois pas-gentilshommes-du-tout sont des êtres détestables qui n’ont aucun souci d’existence. Les problèmes, ils se les créent donc : un garçon de café n’a rien à proposer aux groupes de femmes bourgeoises, ni café, ni thé. Il faut entendre alors Stéphane Audran dire, d’un ton las, avec tout le snobisme et toute la condescendance qui caractérise, semble-t-il, sa classe sociale : « mais alors qu’est-ce qu’on va faire ? », comme s’il s’agissait là du seul souci existentiel lié à sa condition sociale et humaine. Un humanisme déchu, drapeau en berne, flotte dans ces corps embourgeoisés, pourtant pas antipathiques. Et bien au contraire, comment ai-je pu trouver Fernando Rey sympathique à ce point, malgré son horrible air hautain ?
Le film est anticlérical, bien sûr, comme dans nombre de ses films, l'évêque est un inculte chiant, chieur, qui veut jardiner jusqu’au ridicule.
Les personnages sont très puissants, ont beaucoup de force, de profondeur, et sont joués avec, semble-t-il, une certaine jubilation. Stéphane Audran et Jean-Pierre Cassel sont excellents. La palme allant tout de même à Fernando Rey, monstrueux en bourgeois hédoniste, arriviste et cynique.
Ces personnages rêvent et leurs songes apparaissent comme des rêves éveillés, conscients, imbriqués intelligemment dans la réalité. De ce fait, on ne sait plus, comme dans « Belle de Jour », si l’on est dans le rêve, un quelconque fantasme, ou bien la réalité à laquelle on est habitué depuis le début du film. Un personnage rêve même qu’un autre personnage rêve, les rêves étant corrélés entre eux, encastrés entre eux comme les briques de toutes formes du jeu vidéo Tétris, en mode Inception avant la lettre, l’aspect « blockbuster » en moins, l’intellect en plus.
Des pépites tout le long du film, qui a un peu vieilli dans son ensemble, mais débordant d’une énergie créative et fait d’un humour raillant. Les lectures sont multiples. Brillant, simplement.