Cinéma naturaliste, c'est comme chat

Critique rédigée en juin 2018


Au début des années 70, alors que la Nouvelle Vague est considéré comme le centre de navigation principal des renommés du cinéma français, le méconnu Pierre Granier-Deferre, dans son coin, reste en dehors de ce projet et propose quelques réalisations restées dans les mémoires, notamment La Horse (1970), Adieu poulet (1975) et, surtout, Le Chat, en 1971.
Non, il ne s'agit pas ici de l'inspiration majeure de la bande dessinée homonyme, mais d'un film à tendance antisociale à l'ambiance maussade mettant en scène le mythique Jean Gabin et Simone Signoret, s'entretu... euh se mitrailler du regard pendant une heure et demie. Donc non, ce n'est pas drôle du tout.


Le couple de retraités Bouin, c'est ici 25 ans de vie commune qui sont mises à rude épreuve. Effectivement, avec le temps, Julien (Jean Gabin) et Clémence (Simone Signoret) se sont lassés l'un de l'autre et ne parviennent plus à retrouver le grand amour. Tout dans leur vie de couple respire l'ennui, la grisaille et l'impossibilité d'accéder à une discussion avec l'autre, engouffrés dans la monotonie d'un ancien Paris ici vu sous un mauvais jour. Un jour, Julien trouve et adopte un chat, qui vole pratiquement la place de Clémence dans son coeur. Celle-ci, jalouse de l'animal, décide d'abord d'utiliser ce dernier comme bouc-émissaire avant de l'éliminer. Cet événement marquera à jamais le couple, au péril de leur vie...


Inimaginable film, adapté au passage du roman éponyme de Georges Simenon : dans sa manière de représenter une relation plus que conflictuelle entre deux "fins de vie", Pierre Granier-Deferre (abrégé PGD) émeut et dégoûte à la fois à travers le portrait de ses deux personnages


(Signoret représente le crime, la jalousie, l'orgueil et l'égoïsme ; alors, Gabin, à la fin du film, représente la rancune, ce qui symbolise l'opinion de l'Homme inapte à l'idée du temps qui reste dans une société froide dominée par le progrès croissants)


Le spectateur ne reste alors insensible face à un tel spectacle... jusqu'à cette fameuse scène finale à la morale aux sources stoïciennes, remettant en doute le jugement du spectateur sur plusieurs points essentiels (la colère provoquée par Signoret, aussi détestable que pathétique, la place du chat dans une telle existence, etc.).
Forme filmique d'argumentation littéraire indirecte, donc aux idées complètement sous-entendues, on a en plus affaire ici à une véritable renaissance du mythe Thérèse Raquin, d'où l'oeuvre de Zola: dans les deux cas, on suit le cours de la décomposition morale et physique d'un couple parisien alors poursuivi par l'idée du regret (regrets de leurs choix, du temps passé, très ressenti) et par la tentation du mal. A noter aussi, la place du chat François dans Thérèse Raquin, garde un impact assez inégal aux deux oeuvres mais l'animal en lui-même serait le seul des trois personnages à pouvoir fuir son foyer quand bon lui semble: il file aussi vite que le temps...


Un film d'une puissance rare dont l'image se suffit à elle-même ; nous soulignerons le peu de longues scènes de dialogues constituant les longs plans centrés sur le duo Signoret-Gabin, le tout faisant de ce film un exercice de style atypique proche d'un roman naturaliste, qui chatouille malicieusement notre pensée après, et pendant le visionnage.

Créée

le 18 déc. 2020

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