Une adaptation libre, mais néanmoins fidèle, du Macbeth de William Shakespeare, et l’une des plus délicates à appréhender. Je suis de ces petits êtres se situant entre la jovialité d'une douce jeunesse et la force de l'âge endurcie, ne me considérant pas comme un cinéphile, n'étant dans le cas présent qu'un jeunot qui ne peut comprendre une histoire remontant à fort longtemps, vous savez, le genre de récit que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Mais je tente de saisir les occasions qui se présentent à moi, j'avance doucement en prenant garde à chaque trace laissés par mes pas.

Le cinéma de Kurosawa ne cesse d'être prisé et de connaître ses nouveaux adorateurs, je ne voudrais pas avoir la prétention d'en faire partie, mais c'est une nouvelle corde ajoutée à mon arc à travers la découverte de sa filmographie. Pas nécessairement d'un point de vue chronologique, je prends ce qui m'attire le plus aux premiers abords, quel qui soit, je sais que je découvrirais une nouvelle facette du cinéaste. La nuit dernière, je fus comblé par ma Seigneurie pour me rendre au Château de l'araignée, et le voyage n'a pas été de tout repos, mais au retour le sentiment d'avoir vécu des instants forts m'a envahi.

Au sein de l'archipel japonais, la cinématographie d'après guerre voit revenir au galop un genre particulier qu'est le Jidai-geki, notre cher Kurosawa lui redonne toutes ses vertus en multipliant les films d'ordre historique qui sont liés à l'époque médiévale nippone, sans se priver toutefois des influences occidentales qui lui sont chères.

L'histoire qui nous est conté dans Le Château de l'araignée est celle de Washizu qui va se voir récompenser auprès de son compagnon d'armes, Miki, pour leurs exploits en temps de guerre. L'actuel seigneur dominant leur fait donc grâce de postes qu'ils n'auraient pu exiger d'eux-mêmes, à leur grand étonnement. Cela ne devrait s'arrêter là, puisqu'en revenant de leur voyage, les hommes précédemment cités se sont perdus et ont rencontré, dans un détour redouté, une mystérieuse sorcière occupée sur son rouet et qui leur a prédit un avenir radieux. Naturellement, nos deux valeureux guerriers usent de scepticisme et laissent paraître les doutes sur leur visage craintif, décelant tout de même une réjouissance qu'ils aimeraient voir se réaliser. Et si c'était vrai ce que disait cette vieille loque blanchâtre ?

On suit l'ascension soudaine de cet homme au nom de Washizu, mais qui ne saurait prendre garde du destin qui joue de sa personne telle une piètre marionnette. Pour que le spectateur s'y imprègne, une ambiance étrange est installée, contrastant par elle-même dans les images qui défilent. Les décors ne sont pas limités, mais ils se cantonnent à des lieux bien précis. Des endroits qui veulent tout dire, qui ont un lien avec la vie de Washizu, sur son passé et sur son devenir : entre les quatre murs de son toit où les fantômes du passé resurgissent le rendant aliéné aux yeux des autres, dans la brume apaisante ou dans une forêt humide où les cris de la sorcière retentissent pour mieux déséquilibrer quiconque y pénètre, c'est tout un malaise qui s'organise autour du personnage, une construction astucieuse de son destin. Cette forêt hostile qu'il désignait comme un rempart imparable pour la protection de son château prend différentes dimensions, et le même postulat n'est jamais préservé. C'est un endroit changeant, qu'on qualifierait même de très versatile, s'adaptant surement aux rebondissements, aux pensées de Washizu et de son entourage.

L'homme et son épouse n’auront de cesse de vouloir forcer la suite pour parvenir jusqu’à la condition suprême du commandement. Je traîne à en venir à un point important, le jeu d'acteur extraordinaire de Toshiro Mifune. Il impose chacune de ses apparitions, sa présence ne peut que se voir et se ressentir. Il fait preuve d'une justesse implacable, toujours très expressif dans ses mouvements, un visage aux mimiques non-linéaires. L'assimilation totale qu'on peut en faire n'est pas à la portée dès les premiers instants, mais c'est ce talent à garder son visage sous tension, d'une nervosité qui côtoie la sagesse d'un être redoutable.

Isuzu Yamada, qui se substitue dans le personnage de l'épouse et qui impressionne tout autant. Sans évoquer les faits dans les détails, une ou deux scènes à son sujet m'ont frappé au visage. Son absence de clignotement des yeux trouble, un peu à l'image de ce qu'elle éprouve, ses paroles hypnotisent et j'en suis même venu à me mettre à la place de Washizu. Qu'aurais-je fait, qui aurais-je écouté ; parce que cette tendre épouse ne va faire aucune concession pour conseiller son conjoint. Ce dernier se perd au milieu de toutes ses décisions à prendre, arraché entre sa loyauté la plus profonde pour un guerrier exemplaire et son attirance qu'il tente de contenir pour le pouvoir, une attirance alimentée par sa femme qui le pousse parfois au pire. Il veut être en colère contre celle-ci, mais il revient à s'exposer de lui-même, à s'énerver contre sa propre personne.

Le réalisateur a par ailleurs fait part de ses exigences aux acteurs afin qu'ils utilisent des postures traditionnelles dans leur façon de s'asseoir ou de divaguer. Les masques de Nô sont indissociables du reste, dans ce film Kurosawa a tenu à ce que des expressions semblables soient tenues par les artistes. Et c'est en comparant ces masques et l'exercice de démonstration de Mifune que sa prouesse devient authentique, il donne vie à ses émotions et à la dévastation opérée par ses démons enfouis. Une superstition tantôt enivrante, tantôt bouleversante.

Comme à l'accoutumée, le maître Kurosawa entretient une importance envers la nature, la rendant omniprésente, se transposant dans divers environnements, souvent des lieux de rencontres significatifs. La lumière, imparable à chaque instant, transperce la végétation de parts et d'autres et se magnifie sur tous les éléments incrustés à l'écran. La folie d'une nature grandissante s'apparente à celle de Washizu qui poursuit son chemin, sans savoir où il va le mener, non-pas en tant que présomptueux, mais en tant que simple exécuteur qui repousse les limites du destin. Les métaphores sont nombreuses, tout autant que cet immobilisme aéré qu'adopte les acteurs.

En plus des costumes et des multiples objets entreposés minutieusement, c'est la reconstitution du Japon féodal qui se révèle éblouissante dans tous les compartiments. En prenant considération de l'aspect architectural des infrastructures, c'est dans cet espace que les passages s'imbriquent les uns aux autres, rappelant aussi que le silence sait faire passer des messages sans que les mots se propagent d'une bouche à une oreille attentive, mais pouvant découler d'un regard persuasif.

Akira Kurosawa est un metteur en scène hors pair, et il le prouve une fois de plus avec Kumonosu jo. Une oeuvre épurée, quelque peu paradoxale, et étincelante dans son allégorie mais d'une noirceur morale existentielle. Le raffinement de son jeu théâtral oppose plusieurs points de divergence, où la passion rime avec compassion, où la chasteté est mise à rude épreuve par la folie des personnages, leur soif insatiable de corruption. La mort plane au-dessus de leur tête, comme la forêt en toiles d'araignées et la brume qui cachent respectivement les cieux et leurs jambes, ils sont pris au dépourvu. A défaut de ne pas avoir de batailles spectaculaires, le film magnifie cet imaginaire sombre peuplés d'esprits maléfiques et de sorcières, des plaines arides jusqu'au château de l'araignée.
Eren
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le 11 août 2013

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Eren

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