Dragonwyck c’est le nom d’un grand domaine, où trône un vieux château entouré de parcelles cultivées. Château fastueux, opulent, qui sent autant la poussière que le luxe démesuré.
Comme c’est souvent le cas dans le cinéma de Mankiewicz, il est question de monstre. Monstre, démon, en tout cas quelque chose qui hante, qui imprègne l’intérieur des corps et qui déteint sur les décors. Monstre refoulé ou avorté, intériorisé puis extériorisé. Monstre psychologique enfoui que le film, et ses personnages, fait sortir de sa tanière. Le nom du château n’est pas un hasard, il y a bien un dragon à l’intérieur. Ce monstre, ici, est comme souvent généré par une crainte. Crainte qui va se décupler jusqu’à emplir la personne qui la développe et l’anéantir de l’intérieur, avant que lui-même ne l’exorcise pour anéantir ce qui l’entoure. Cette peur c’est celle du riche propriétaire des lieux Nicholas Van Ryn, incarné par le vampirique Vincent Price (ce n’est pas un hasard). Peur de voir ses biens disparaitre (ses terres, son château) et de ne pas avoir d’héritier pour les préserver. Sa femme ne peut plus enfanter et donc avoir de fils. Chez Mankiewicz le passé est essentiel. Et s’il n’y a pas encore de flash-back dans ce film (élément fondamental de son cinéma), par récits relatés, l’on comprend les dérèglements qui ont pu se produire dans le passé familial et qui déteignent sur le présent. Face au problème de sa femme, Van Ryn va ‘inviter’ une jeune cousine éloignée à venir s’installer dans le château. Cette fille, Miranda (la belle Gene Tirney) vit dans une ferme avec ses parents. Cloisonnée à la fois par une situation géographique, son petit univers réduit dans cette petite ferme, elle l’est aussi par l’oppression engendrée par ses parents, notamment son père qui exerce sur elle une pression religieuse totalitaire. Tout y est en liaison avec la parole de Dieu, toutes les décisions sont prises en fonction de la Bible.
Lorsqu’elle reçoit cette lettre d’invitation, elle voit-là l’occasion unique de fuir cet univers claustrophobe, de prendre l’air. Pourtant, en acceptant la demande de Van Ryn, et malgré les illusions passagères, elle va passer d’un enfermement à l’autre. D’une petite ferme à une grande bâtisse inquiétante. Et elle-même également, de s’enfermer dans son propre dogme religieux, d’en revenir toujours à Dieu à la moindre occasion. Le château de Dragonwyck est central, c’est le théâtre des évènements passés et à venir, le lieu où le dragon se libère. Les murs, les éléments semblent vivants, imprégnés de souffrance, de refoulement, de mort. Mankiewicz, sous des allures romantiques et élégantes, réalise un vrai film gothique, expressionniste. Un quasi film de maison hantée, où le lieu est fondamental (comme dans Rebecca d’Hitchcock, comme chez Bava, comme dans tous les films de maison hantée). Les murs cachent des mystères, des secrets. Le cinéaste joue beaucoup de cette atmosphère fantastique, mise en exergue notamment dans deux pièces : la chambre rouge où trone un clavecin et, sur le mur, un portrait inquiétant d’aïeule au passé trouble. Et une chambre cachée, que l’on ne découvrira qu’à la fin, où se retire la plupart du temps Van Ryn. Son antre en quelque sorte. Mankiewicz, par dissémination subtile d’éléments du décor, par bribes de paroles, par une gestion de l’espace, de la lumière, de la temporalité, parvient à créer cette ambiance, qui sert à la fois l’intrigue écrite du film, mais qui permet également de donner des cartes entre les mains du spectateur afin de s’imaginer un tout autre film. Peut être plus horrible encore et c’est la toute ce qui fait la malice et l’aspect ludique de son cinéma.
Très beau film en tout cas, et visuellement somptueux.
Teklow13
8
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le 26 nov. 2012

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Teklow13

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