Si un mot peut définir Le cheval de fer de John Ford, c’est bien ‘’rêve’’. En effet, cette aventure homérique retrace l’accomplissement du désir de l’humanité blanche : la civilisation, moyennant la construction d’une ligne de chemin de fer transcontinentale. Ce rêve, transmis dans le film d’un personnage à l’autre, d’un vieux travailleur à son fils en passant par le jeune politicien Abe (Lincoln), forme le cœur de l’œuvre. Pourtant ce terme peut aussi désigner le film en lui-même, rêve de la Fox de concurrencer La caravane vers l’Ouest de la Paramount, et de John Ford qui tiendra là son premier gros succès. C’est aussi le premier rôle de George O’brien, jusque-là cascadeur, et qui jouera dans de nombreux westerns par la suite, notamment chez John Ford (Trois sublimes canailles, Le massacre de Fort Apache, La charge héroïque). Et bien-sûr, le film est une (autre) ode aux valeurs américaines, du courage, de la persévérance, comme dans La caravane vers l’Ouest.
John Ford affirme dès le premier carton sa volonté de créer une fresque historique : on retrouve bien-sûr Abraham Lincoln, Buffalo Bill et Wild Bill Hickok mais aussi le nom des villes, les différentes provenances ethniques des travailleurs (chinois, afro-américains, irlandais…) ainsi que des petits détails comme la chute comique des indiens qui fait penser à une anecdote réelle. L’atmosphère est très réaliste, des costumes aux décors, en passant par la justice de bar, à la Roy Bean. Et évidemment l’éternel sujet du propriétaire terrien cupide qui ne recule devant rien, qui sera repris dans de nombreux westerns par la suite. Dans Il était une fois dans l’Ouest, par contre, c’est l’inverse : c’est le gars de la compagnie de chemin de fer qui est cupide et ambitieux… Comme quoi le sujet reste le même, les rôles sont juste interchangeables !
Pourtant ce qui fait la force du film n’est pas tellement son aspect historique à mon avis, mais les talents de conteur de John Ford. Le scénario ne manque pas de complexité ni de piment. Les histoires et personnages secondaires se multiplient, tous plus attachants les uns que les autres : des mariages, des divorces, une histoire d’amour et une de vengeance. On ne peut qu’apprécier le comique apporté par les trois ouvriers irlandais au sérieux général de l’œuvre. S’il est peut-être le premier à maîtriser cette technique, il ne sera certainement pas le dernier (on pense tous aux personnages de secondaires de Disney, des premiers films d’animation à Pirates des Caraïbes). Les séquences s’enchaînent avec un bon rythme, les deux heures trente passent vite, et on a droit à une bonne interprétation et à quelques séquences virtuoses, comme le montage de la chasse des bisons, ou de l’attaque indienne. J’ai particulièrement apprécié le soin apporté aux cartons, de véritables chefs d’œuvres picturaux, qui créent de jolies pauses visuelles.
Quelques critiques cependant : l’histoire d’amour comme celle de vengeance sont assez prévisibles, et leur réussite est en grande partie portée par le jeu d’acteur, et surement pas sur leur crédibilité ni inventivité. De plus, même si on y est habitué dans les premiers John Ford, on ressent un manichéisme certain dans le point de vue des indiens (ridicules et harcelant les blancs sans raison) ainsi que dans celui des chinois (tournés en dérision par la musique, et faussement intégrés à la communauté). Il faut rappeler qu’ils étaient traités comme des esclaves et que beaucoup mourir à la tache).
Cela ne gâche pas non plus le plaisir éprouvé lors de la vision de ce bon western, maîtrisé, rempli d’émotions sans en déborder. On ne s’ennuie pas malgré la durée importante. Et s’il vous prend l’envie de découvrir d’autres John Ford muets, je ne peux que conseiller Trois sublimes canailles, magnifique.