J'avais déjà apprécié le talent singulier de Bélà Tarr, dans l'expérience unique de cinéma, qui marque à jamais la vie d'un cinéphile : SatanTango (1994),.... un long long long métrage de 7h30, à la fois d'une beauté saisissante et d'une tristesse inexorable liée à la misère de la condition humaine.
Ce monument se finissait dans le noir absolu : rien, l'obscurité, on avait cloué les volets, pire les planches, celles du cercueil, pour aller faire des cauchemars en enfer...
Il récidive, dans son style unique, avec "le cheval de Turin" (2011) qui ne dure que 2h30, mais qui, de la même façon, nous entraîne dans un univers dévasté...les images sont d'une beauté fulgurante, sublimées par le vent, la poussière et les feuilles qui volent, la bande-son d'outre-tombe envoûtante, est étroitement liée à cette atmosphère rafaleuse et inconsolable du paysage ...
Au point de départ du film, l'anecdote célèbre concernant Nietzsche : celui-ci se serait interposé entre un cocher et son cheval, pour défendre le cheval, des coups de son maître... Bélà Tarr va s'intéresser au devenir du cheval... L'idée est très minimaliste et prétexte à offrir au spectateur, une tragédie simple, mais porteuse d'émotions intenses. Quatre personnages, le cheval, le cocher paralysé d'un bras, sa fille et le Vent. Aucune fioriture dans l'univers créé, aucun effet de mode, aucun objet superflu : juste la maison isolée, à l'intérieur de laquelle le mobilier rudimentaire est réduit au plus strict nécessaire, les vêtements de toile grossière sont adaptés aux éléments déchaînés... (pas de danger d'y voir une petite boucle d'oreille) ... au menu, un seul ingrédient: une patate all'pelure brûlante, à déguster sans couvert (pas question non plus de l'accompagner d'un petit verre de vin rouge!)... et l'eau, élément indispensable à la survie, est prélevée dans un puits hypothétiquement alimenté !
Bélà Tarr y pose sa caméra et filme avec la plus belle sobriété, la vie âpre de ces personnages. Le vent qui souffle n'est pas qu'externe, il est interne comme une volonté d'envahir tous les organes et ne laisser aucun espoir aux personnages, qui ont tous l'air accablés par leur condition.
Quelque chose d'indéfinissable me fascine dans ses loooongs plans fixes d'une beauté rare : c'est l'émotion qu'ils génèrent... Cette ambiance et cette lenteur sont une invitation à l'introspection, à la réflexion... et peut-être à l'incitation à se désencombrer dans sa propre vie de tout ce qui est superflu et à la prise de conscience de la nécessité de solidarité, il est évident que chaque personnage ne peut survivre seul... enfin chacun peut en faire la lecture qu'il veut !!!
Pessimiste Bélà Tarr ? Certainement, mais surtout très lucide, dans son obstination à mettre en évidence, l'essentiel et ce, d'une manière magistrale......
J'adorerais revoir ce chef-d'oeuvre sur grand écran !