"Le ciel rouge" a cette délicieuse particularité, cette élégance de n'être jamais tout à fait là où on l'attend. Conte d'été aux accents Rohmérien pour certains, drame amoureux pour d'autres ou encore réflexion sur la création et la posture dans l'art, le dernier film en date de Christian Petzold possède également une dimension fantastique, un aspect onirique assez fascinants.
C'est avec l'enveloppante mélodie des Wallners "In my Mind" que débute cette fable estivale, découvrant deux jeunes hommes, en panne d'automobile et perdus dans une forêt, à la recherche d'une maison de vacances, que Petzold comparera à la maison de la sorcière chez Hansel et Gretel dans "Les contes de Grimm". L'un, Léon est écrivain en recherche d'inspiration pour écrire son deuxième roman c'est également un être pédant hautain désagréable, l'autre Félix plus affable et un étudiant venu dans ce lieu de retraite en bord de mer préparer son concours d'entrée à l'école des beaux arts. Hasards de l'été, curiosité de l'inconnu et effectivement mystification Rohmérienne en apparence, ils devinent la maison déjà occupée par Nadia, mystérieuse invisible, dont ils entendent les premières nuits les ébats bruyants, sans la croiser au petit matin.
Viendra l'inévitable rencontre avec la belle, son petit ami, (le MNS Devid), laissant Félix avide de nouveautés et de rencontres, séduit par les deux étrangers et Léon désabusé jaloux, mal à l'aise et mal aimable. Pour ce dernier, qui ne parvient pas à écrire, tout est un jeu de répulsion d'agacement, il se sent supérieur aux autres, n'apprécie pas leur compagnie ni leurs conversations, bref il est détestable. C'est avec surprise et un peu d'abattement que l'on comprend peu à peu que Léon sera la personnage central de ce quasi huis clos.
Pourtant " Ce portrait de l'artiste en idiot" (Petzold) que l'on découvre tourmenté en "écrivain débutant qui regarde, mais ne voit pas grand chose" laisse transparaître les fêlures du jeune homme , Léon est en fait un être apeuré qui joue à l'écrivain pour se rassurer.
Evidemment, l'été l'insouciance de la jeunesse sont toujours là pour les trois autres, les jeux de séduction également, mais toujours plane cette menace des incendies au loin, ce ciel rouge, cette sourde et angoissante menace climatique, qui tend les êtres et affaiblit la spontanéité tout autant que les humeurs du trublion. Et à l'image de ce que laisse deviner l'affiche, ce sentiment étrange, tenace que l'on côtoie le surnaturel ne quittera jamais totalement le récit.
La suite la rencontre avec l'éditeur venu le temps d'un dîner apportera encore plus de profondeur au propos, lui donnant même un tour et une tonalité inattendus.
Au final, "Roter Himmel" se révèle un jeu de dupes surprenant, mais foisonnant sur les rapports humains, le rapport à la création, une œuvre hybride, dont la gestation atypique en tant qu'objet, pensé dans un premier temps comme une dystopie empruntant aux légendes des contes de fantômes allemands, puis comme une composition plus légère pour répondre aux angoisses liées au confinement venu interrompre le développement du film est un tout majeur.
Petzold toujours, à propos des films de Rohmer qu'il a revus durant cette période :
"ce sont des films sur une vie qui a existé et qui à ce moment là redevient présent, c'est exactement l'opposé de la dystopie, Rohmer était exactement l'opposé de ce que j'avais prévu de faire. Ca m'a ému, j'ai pensé alors il faut que le cinéma aime le monde, le cinéma doit aimer les irrégularités la complexité et pas simplement rêver qu'une grande tempête ou un grand feu efface cette vie.(...) C'est ça l'essence du ciel rouge de cette trace d'Eric Rohmer en moi , et le danger du feu, c'est le danger de la catastrophe climatique du fascisme et donc de la dystopie"
* L'interview citée est à écouter ici en intégralité : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/plan-large/des-bois-et-des-mythes-avec-rabah-ameur-zaimeche-et-christian-petzold-9291562