Au début, on peut croire que l'ensemble sera un conte rohmérien, sans trop de conséquences autres que sentimentales, avec son personnage principal qui, en compagnie d'un ami, lors des vacances d'été, pénètre dans un espace (en l'occurrence une maison de campagne, appartenant à la mère de son copain, située au milieu de forêts et pas très loin de la mer !), devant être le sien, mais qui se révèle, à sa grande mauvaise surprise, envahi par deux éléments étrangers, une jeune et belle femme accompagnée de son amant.
Il n'en sera rien puisque le récit suit un protagoniste qui croit que le monde ne tourne qu'autour de lui, que les autres n'existent que par rapport à lui. C'est un écrivain en panne d'inspiration qui est incapable de comprendre le monde environnant, qui est incapable de comprendre les autres, de s'intégrer parmi les autres, de partager leurs petits bonheurs, qui est noyé sous les préjugés, en partie parce qu'il ne prend jamais le temps de connaître les autres, n'en a même pas l'idée d'ailleurs. Quant aux incendies de forêts, brûlant à cause du réchauffement climatique, c'est juste un truc lointain d'arrière-plan, animant les conversations des autres.
Ouais, là, on est légitimement en droit de se dire qu'un film qui suit un monsieur aussi peu attachant ne peut qu'être énervant à visionner de bout en bout. Et pourtant, même s'il faut bien avouer que des démangeaisons dans les mains viennent souvent pour activer le geste de talocher, la réussite de Ciel rouge est de parvenir, en dépit de tout, à rendre émouvant cet être. Mal dans sa peau en partie à cause d'un corps disgracieux, sentant qu'il est plongé dans les abimes de la dépression, ne lui permettant de goûter à rien, qu'il est en fait son pire ennemi, il est difficile de ne pas ressentir de la peine pour lui (à noter que, dans le rôle, l'excellent Thomas Schubert contribue fortement à provoquer cette gamme large et complexe de sentiments !).
En outre, le personnage féminin principal (la sublime et ultra-talentueuse Paula Beer !), au charme de laquelle notre coco est loin d'être insensible (ce qui est très crédible !), apporte un contrepoint, parfois cinglant, car, elle, elle en a quelque chose à foutre des autres, elle, elle s'intéresse aux autres et, elle, elle n'hésite pas à sortir ses quatre vérités à notre égoïste malheureux en chef.
Le tout suit entièrement le point de vue de ce dernier, ce qui fait que quand la tragédie finit par frapper brutalement, sans pitié, on ne la voit pas venir tellement il était autocentré sur lui-même.
Bref, Le Ciel rouge est une finesse d'écriture et d'interprétation, montrant un Christian Petzold, grand spécialiste dans l'analyse subtile des caractères, à son sommet.