Minimaliste dans sa mise en scène, ce film s’illustre dans tout ce qu’il couvre, cache et masque. Ce film est à la fois silencieux et criant. Tout ce qui n’est pas dit est pourtant entendu, perceptible, ce sont les corps qui parlent, ils prennent le relais et à travers eux s’incarne une sensualité tantôt énergique tantôt poétique. Une immense fragilité aussi.
« Le colocataire » est un film qui se tait, qui laisse le corps et les regards s’exprimer. Il y a une véritable écriture des gestes, allant du simple mouvement de l’œil qui observe clandestinement à la main qui frôle, qui caresse. Si les corps se tutoient, c’est bien le silence qui étreint les personnages. Une éteinte si forte qu’elle emprisonne, qu’elle contraint. C’est là toute la puissance de ce film : son mutisme. Un mutisme érotique qui, dès le début, installe une tension qui s’intensifie à la manière d’un crescendo. Un crescendo aphone où les corps se croisent, se frôlent jusqu’à s’embrasser pleinement. A force de se toucher des yeux, les deux hommes nourrissent un désir d’une intensité quasiment palpable. Le réalisateur filme en effet les gestes avec une telle virtuosité que l’on croit, nous aussi, pouvoir étreindre les corps qui se dévoilent frontalement à nous.
Très séquencé, ce film donne l’impression d’être un roman photo, roman qui serait alors constitué des prises de vues, intimes et poétiques, d’un désir clandestinement réciproque. Un désir aussi puissant que fragile. Ces brèves séquences qui se suivent semblent d’abord participer à cette tension entre les hommes, on se demande quand aura lieu l’explosion qui se fait attendre. L’herbe nous est coupée sous le pied à force de « cut ». On se dit « c’est le moment, allez-y » et puis non, ça n’a pas lieu. Le réalisateur cultive ainsi notre propre désir, il nous fait languir comme languissent ses personnages qui se bouffent des yeux. Ce film nous implique donc, nous spectateur. On a le sentiment d’y être tant les corps sont filmés avec vérité. Aussi, cette séquencialité du récit semble nous dire une chose terrible, elle nous prévient : la relation ne s’inscrira jamais dans la durée, elle sera toujours interrompue. C’est là le versant politique du récit qui prend racine dans un milieu social où l’homosexualité semble n’être pas la bienvenue et qui assigne le ténébreux Juan à une posture virile probablement rassurante.
Côté casting, si les deux acteurs sont bluffants, il faut reconnaître que Gaston Re propose un jeu incroyable, entre force et vulnérabilité, qui n’est que suggestion, non-dits, retenue, intériorité. C’est bouleversant tant il ne parle quasiment pas, ne dévoile rien par les mots, tout est affaire de corps : son silence hurle.
Comme lui, le spectateur est dans un silence contraint, assigné à crier de l’intérieur, à bouillir, à imploser sans pourvoir rien extérioriser. Pour nous, les conventions propres à l’expérience spectatorielle font office de censure mais dans le film, ce sont les conventions d’une société hetero normée qui censure, qui empêche, qui contraint : elle assigne aux silences, à la clandestinité du ressenti et surtout de cet amour impossible.
A noter enfin, le travail de l’espace, sensible et intelligent, qui permet au réalisateur de jouer avec des effets de perspective qui accentue poétiquement cette tension entre les deux hommes, entre désir et interdits, entre proximité et distance...