Ce film témoigne d'une certaine époque du cinéma français, celle où l'on pouvait compter sur la télévision et sur les Césars pour acheter et pour vendre des films. C'est-à-dire les maintenir à flot, les faire vivre et faire vivre le petit monde qui s'en entourait. À ce titre, Le Colonel Chabert n'est pas entièrement un mauvais film, ce serait plutôt un film de commande, commandé en l'occurrence par les circonstances ordinaires des maisons de production, les habitudes, la routine, la baraque à tenir. On fonctionne en pilote automatique, y compris les acteurs, dont l'absence de direction est criante. Tout le monde y fait ce qu'il sait plus ou moins faire.
Parfois mal : Depardieu réenfile le costume des classiques-en-costume qui est devenu sa marque de fabrique pour le grand public depuis Cyrano (1990). Mais son panache se réduira comme peau de chagrin, successivement avec Tous les matins du monde, Christophe Colomb et Germinal, dans ces années-là. Son colonel figure la queue de comète de ces personnages en costume, toujours le même, le barbon sensible. La démarche lourde mais le regard ouvert sur l'horizon. En l'occurrence, beaucoup trop tonique pour un Chabert qu'on aurait été plus inspiré de confier à un acteur beckettien, have et émacié, comme Serge Merlin.
Parfois moins mal : on sait gré à Luchini de maintenir une sobriété dont il n'est pas coutumier pour camper Derville, personnage compliqué à jouer (derrière le requin des tribunaux, un homme bon). Mais quand même plutôt mal : Ardant, en comtesse Ferraud, sonne faux dans ses crises de larmes, mal amenées il est vrai par le montage et le scénario. Elle, au moins, se rattrapera dans Ridicule (1996) où elle jouera le même rôle, celui d'une intrigante sans scrupules et à frou-frous, mais cette fois complètement abouti.
On notera encore la grossièreté époustouflante d'un happy-end purement commercial, infidèle au texte comme à l'esprit de Balzac, lorsque, d'une façon parfaitement artificielle, Derville vient venger Chabert en dénonçant la comtesse à son mari. Contrecarrés, les plans qu'elle a ourdis ; soulagés, les braves spectateurs. Mais à l'heure où ce genre de films n'est plus vu que par des lycéens qui ne veulent pas lire le livre au programme, on mesure la contre-productivité d'une telle démarche.
Une petite curiosité historique, donc, mais portant moins sur la Restauration que sur un certain cinéma français, pas spectaculairement mauvais, juste un peu moche, un peu terne. Mieux vaut revoir Cyrano ou Ridicule.