Quand on manie habilement un chef-d'oeuvre littéraire et qu'on en extrait la substance, on ne peut qu'accoucher d'un bon film puisque les personnages, l'ambiance, les lieux et l'intrigue sont déjà là. Les deux scénaristes sont ici réalisateurs. Contrairement à l’autre œuvre de Dumas Les Trois Mousquetaires qu’ils ont adaptés, ils ont pris ici leurs responsabilités et leur mise en scène est la transposition directe de leur scénario, ce qui rend le tout bien plus fluide et efficace.

Dumas produit le miroir inversé des Misérables, en décrivant une élite plutôt que des miséreux, en décrivant un homme déchu et injustement bafoué qui va se venger plutôt que faire le bien, du bagne à la richesse absolue. En effet, c'est lors d'une cérémonie de mariage, que l'on vient arrêter Edmond Dantes, ce qui est un sacrilège. Dès lors, l'enfer de Dantes commence. Le voilà prisonnier dans la prison d'Aix où il finit par rencontrer un abbé, descendant des Templiers, et donc un religieux qui va lui confier le secret des chevaliers et leur fabuleux trésor sur l'île de Monte Cristo. De ce trésor, après son évasion de prison, il en fera l'instrument de sa vengeance, allant jusqu'à défier Dieu lui-même, complotant dans une ambiance d'église, vêtu de noir, fricotant avec des bandits, pour parvenir à son ultime vengeance. Le bonheur lui est interdit, désormais, il faut nourrir le feu des enfers.

Comme Les Misérables l’œuvre suit l’après Napoleon et une série de personnages qui incarnent la période. Monte Cristo tue d’une certaine façon les grandes figures de l’époque : l’homme d’affaire, le militaire et noble, le magistrat. Tous ont profité et abusé de l’époque. Dumas les fait tomber d’un piedestal.

On ne compte pas le nombre d'oeuvres inspirées de ce récit, sorte de Misérables inversé, où le bagnard ne fait pas le bien mais se venge, de Barry Lindon de Kubrick à *Au Revoir là haut *et Couleurs de l'Incendie, récemment adapté au cinéma et jusqu'à Batman et Gatsby le Magnifique. La recette du de vengeance, tout simplement, et l'une de ses origines, brillamment mise en scène ici.

Tout d'abord le film est une fresque grandiose, multipliant les châteaux majestueux, les paysages forts, la musique enlevée, les personnages fort bien incarnés. Rarement le cinéma français produit des films avec une telle qualité photographique et de mise en scène. Il se régale de lieux comme le splendide Hotel de la Paiva, sur les Champs Elysées et que l'on peut visiter - je vous le conseille. De la mer à Paris, l'on voyage. On est bien dans le roman d'action, de cape et d'épée et le feuilleton.

Si le film se permet quelques ajustements nécessaires, rassemblant plusieurs personnages du livre en un seul, raccourcissant les liens entre eux, il ne le fait que pour aller vers son but. On pourra lui reprocher un final qui s'éternise un peu, un duel un peu vain et d'être parfois verbeux, presque confus dans son foisonnement d’intrigue mais c'est justement ce qui le rend très "Dumas", enlevé, plein de panache, de fougue et de folie. Pensez donc, nous allons en trois heures du bagnard au prince, des Templiers aux secrets politiques et capitalistes parisiens, c'est énorme. Le film, plus ramassé que le livre, apparait ainsi d'une générosité rare.

Il s'offre aussi quelques scènes fortes, comme l'évasion de prison, pleine de tension, le diner dans la maison "hantée", vengeance sadique, et dans les révélations fortes qu'il ne cesse de proposer au fur et à mesure. Il y a également quelques duels, scènes d'actions, cavalcades qui viennent rythmer le tout si bien qu'on ne s'ennuie pas durant les trois heures du long métrage.

Le casting n'est pas en reste, avec l'excellent Laurent Lafitte, spécialiste des personnages salauds et Patrick Mille, qui a la tête de l'emploi également. Parmi ces personnages très mauvais et médiocres que l'on prend plaisir à voir perdre de leur consistance au fur et à mesure que Dantes met en place sa vengeance, il y a aussi les femmes qui sont les victimes des méfaits des hommes, une mère et maitresse qui abandonne son enfant, une autre qui est vendue, une autre qui a le coeur brisé, une autre qui est orpheline. La condition des femmes, voilà un sujet bien moderne qui transpire dans le film.

Mais c'est Pierre Niney porte tout le film sur les épaules, avec ses multiples identités et facettes. Le rôle le transcende, justicier masqué, Zorro avant l'heure, mais d'une cruauté et d'un cynisme infini. S'il clame qu'il ne veut pas la vengeance mais la justice, son oeuvre de mort est destructrice, jusqu'à le détruire lui-même. Il ne pourra plus jamais aimer. Il est déjà mort depuis longtemps. Il est en quelque sorte, la mort lui-même, être éternel ment solitaire, qui file sur les océans comme Zorro sur son destrier. Rien n'arrêtera son panache macabre et sa fine lame. C comme Cristo.

Tom_Ab
8
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le 25 juil. 2024

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Tom_Ab

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