Monte-Christo pour les Nuls

Si tu vois le Compte de Monte-Cristo pour la première fois, ça va te plaire. Evidement puisque ça s’inspire d’un chef d’œuvre, au scenario intelligent, machiavélique, qui touche à des enjeux fondamentaux, la vengeance, l’argent, la trahison, l’amour, la duperie, l’histoire, l’héritage, les générations et autres enjeux shakespeariens… Si par contre tu as lu le livre, et vu d’autres versions ciné ou TV, plus complètes et fidèles à l’œuvre, bof, ben tu passeras quand même un bon moment, mais sans vibrer plus que de ça.

Il y a une chose qui m’insupporte et qui constitue la cause essentielle du saccage du cinéma et de la créativité depuis quelques décennies, c’est la destruction des mythes. Que ce soit James Bond, Spiderman, Star Wars, et plein d’autres. Jean Valjean, Les trois mousquetaires ou Le comte de Monte-Cristo aussi, ce sont des mythes. Non seulement dans la littérature, mais aussi dans l’histoire du cinéma puisque, pour l’anecdote, le premier film issu de l’ouverture du premier studio de Hollywood en 1908 fut une première version du Comte de Monte-Cristo.

Et ça m’insupporte de voir démembrer des chefs d’œuvres et de piller des tombes aussi sacrées, juste pour fabriquer des filmounets de divertissement, juste pour palier à l’actuelle incapacité à la créativité et à l’originalité.

Ce film s’inspire de l’œuvre, évidement, mais le nombre de raccourcis, d’amputations, et le plus grave, le nombre de « libertés » prises, que j’appelle trahisons, voire révisionnismes, est tel qu’il se rétrograde lui-même au rang de petit remake, même s’il reste bien sympathique. Des pans entiers de l’œuvre ont été supprimés, survolés, ou franchement pervertis. A la trappe toute l’élaboration du complot des quatre compères au début, sans parler de la partie napoléonienne ; scenarii, dénouements, conclusions et enchainements simplifiés, modifiés ou élagués à grands coups de tronçonneuse, au point d‘aboutir à une histoire simpliste et dépouillée de la moitié de ses enjeux, intrigues et intérêts ; personnages inventés pour la circonstance et d’autres complètement trahis comme Cavalcanti ou Caderousse.

C’est très paradoxal de se laisser emporter par le plaisir d’un spectacle qui m’a incontestablement embarqué du début à la fin, et en même temps d’avoir ponctué ces 3 heures de visionnage par de si nombreux haut-le cœur, m’expulsant hors du film trop de fois pour pouvoir prétendre qu’il m’a réellement plu.

Dernier point négatif : le choix du comédien principal. Pareil, j’aime beaucoup Pierre Niney, sans doute l’un des meilleurs acteurs Français, mais bon, il ne sera crédible dans ce rôle que dans 15 ou 20 ans quoi. Après 14 ans passés dans sa geôle du Château d’If, après avoir organisé sa nouvelle vie et sa fortune, après avoir étudié toutes les langues et toutes les sciences, après avoir voyagé dans plein de pays et organisé ses réseaux d‘amis et d’alliés internationaux, après avoir étudié la vie de ses quatre ennemis, Edmond Dantès a changé physiquement, en partie parce qu’il devrait avoir minimum 50 ans. Et là on nous inflige un homme plutôt jeune et beau, conforme aux critères télévisuels moyens. Rien à faire, impossible d’y croire, autant j’ai aimé le jeu de l’acteur, autant je ne rentrais pas dans le personnage.

L’aventure, les acteurs, les intrigues, les dialogues tiennent en haleine, on ne s’ennuie pas une seule fois, okay, néanmoins j’ai la sensation de ne pas avoir vu une autre version du Comte de Monte-Cristo, mais juste un film divertissant du mercredi après-midi qui s’en inspire. Avec quand même un arrière-goût de manque de sérieux et aussi de regret de ne pas avoir vu, étant donnés les moyens actuels, un spectacle digne du chef-d’œuvre, peut-être en deux opus.

L’indétrônée version à mes yeux restera donc celle de Robert Vernay, en deux films, avec Jean Marais, non pas son 1er jet de 1943, mais évidement celui de 1954.