Dans les récentes cérémonies de prix cinématographiques, il y a un film qui se démarque par son absence, bien que sélectionné à la dernière Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, et lauréat du prix du Meilleur film d’animation européen à Berlin en décembre dernier : Le Congrès, d’Ari Folman. Ce manque est une nouvelle occasion de s’interroger sur le fonctionnement de ces évènements, car il aurait été appréciable de voir figurer ce long-métrage en compétition pour le César du Meilleur film étranger par exemple.
C’est par un manque également que s’ouvre le film de Folman, un manque d’argent pour une Robin Wright, sublime mère à la fois si proche et si éloignée de son récent – et excellent – rôle dans la série House of Cards. Chez le réalisateur israélien, elle joue son propre personnage, vain espoir hollywoodien, en proie à un manque d’argent pour subvenir aux soins de son fils malade – Aaron – et qui va accepter une proposition de la Miramount, studio-monstre dystopique désignant un certain avenir du cinéma hollywoodien, offre consistant à vendre son image-personnage d’actrice, à le céder complètement, et à s’y refuser pour vingt ans. Robin Wright, apeurée comme le rappelle son agent, incarné par Harvey Keitel, s’abandonne alors dans un très beau dernier chant du cygne au creux d’une authentique scanning room. Cet instant de bravoure cinématographique clôt une première partie en live action placée sous le signe de l’intime, de la fragilité, traduit par une proximité physique de la caméra avec ses acteurs.
On retrouve Robin Wright dans une seconde partie toute en animation (en rotoscopie) ; signée David Polonsky comme pour Valse avec Bachir, le précédent chef d’oeuvre du réalisateur israélien. Dans ce dernier, Folman utilisait l’animation pour réinventer le genre documentaire, ici, il l’emploi au service de son hight concept tirée du roman Le Congrès de futurologie de Stanislas Lem. Pour les membres de ce Congrès, la virtualisation du corps n’est donc pas une désincarnation mais une réincarnation. Ainsi, dans ce nouveau monde sujet d’un conglomérat pharmaceutique, la réalité se fragmente en d’innombrables subjectivités, quasiment toute la population fuyant la réalité originelle et en préférant une autre dont une drogue livre l’accès. Les dessins foisonnent de détails, mais surtout de poésie. Le charme de cette esthétique n’a d’égal que l’émotion offerte par la trajectoire dramatique de Robin Wright, au carrefour de deux amours, son sauveur-amant Dylan et son fils. La générosité et le dévouement du réalisateur dans ce second volet du film peut, mais doit déconcerter. Il faut succomber à ce chaos de couleurs rompant avec le drame qu’il déroule, il faut être comme le petit cerf-volant rouge d’Aaron, porté et bousculé par le vent, simple voilerie dont Folman tiendrait la ficelle et nous laisserait s’agiter au gré de son imagination aux côtés de Robin Wright : si le message moralisateur du réalisateur se fait par instant un peu appuyé, il s’agit d’un aspect négligeable face à l’émotion procurée par la quête de cette femme et mère dévouée.
De ce diptyque, Ari Folman aura construit un film duel avec un discours prospectiviste qui rejoint des considérations transhumanistes à l’aune d’une hybridation entre virtuel et réalité, et qui consacre son avènement en tant qu’Auteur de cinéma. Par ces choix formels innovants, le traitement de ses thèmes via un art délicat de la narration et surtout avec une sensibilité et un non-renoncement à l’émotion – plus que salutaire à notre époque – le parcours futur d’Ari Folman sera l’un des plus passionnant à suivre. Mais l’essence du Congrès, c’est celle d’une tragédie grecque où pacte Faustien se mêle avec amour impossible. Le Congrès, c’est l’histoire de l’amour d’une mère pour son fils, c’est l’histoire d’une mère qui décide de renaître à travers son fils perdu afin de le retrouver.