LE CONGRÈS DE ARI FOLMAN
Les super-héros modernes sont virtuels
Cette année au Festival de Cannes, l’un des films les plus attendus était Le Congrès d'Ari Folman. L’œuvre est construite comme un diptyque, mêlant prises de vues réelles et animation. Après son remarquable Valse avec Bachir, le réalisateur israélien revient avec l’adaption d’un livre de science-fiction de Stanislas Lem (Le Congrès de futurologie, 1960). Dans sa version, l’héroïne est une actrice qui vend son identité à un studio hollywoodien. Folman dénonce ainsi un cinéma corrompu par la surproduction d’images et par les nouvelles technologies. La science-fiction devient le vecteur d'un questionnement sur l’avenir, autant que d'une évocation des angoisses et crises du présent.
En échange d’une retraite anticipée et de la promesse d’être toujours jeune à l’écran, Robin Wright - qui joue son propre rôle – accepte d’être scannée. Voilà le synopsis du Congrès de 2013. En 1960, Le Congrès de futurologie se présentait comme une critique du système communiste, décrivant un régime totalitaire qui drogue les foules pour les dominer (grâce à une substance hallucinogène, le peuple croit vivre dans “le meilleur des mondes”). L’idée reste – les atrocités du monde réel sont occultées et les masses sont toujours plongées dans un délire délectable - mais est adaptée à l’époque actuelle. Ari Folman explique, « aujourd’hui c’est la société des images et du simulacre qui contrôle le peuple. À vouloir tout numériser on met en péril le romantisme et la fantaisie du cinéma.»
Au-delà du cinéma, le film propose une critique de la science elle-même, par le biais de la science-fiction. Comme si la folie des savants devenait réalité. Il ne faut pas l’oublier, la science-fiction n’est pas pure imagination mais plutôt extrapolation du possible scientifique. « La Science-Fiction traite de choses qui ne sont pas, mais qui pourront être un jour.» (Frédéric Brown). Mais l'évolution technologique permet parfois des progrès inutiles, ou pire : dangereux. Dans Le Congrès, la machine light Stage 5 numérise le physique et les attitudes d’acteurs réels. Cette machine existe et, grâce à elle, on peut désormais réaliser des films en se passant carrément d’acteurs. Ari Folman explique, «C’est terrifiant. On peut déposséder un acteur de son image en lui inventant une biographie fictive, sans demander sa permission. Économiquement rentable, ce procédé devient dangereux.»
Le Congrès propose un voyage pour lequel la science fiction était le véhicule idéal. La SF a cet avantage d’attirer un grand nombre de spectateurs tout en étant grave. Le spectateur s’amuse, car son imaginaire est stimulé, et le réalisateur se défoule par un délire de la logique. Le genre sert de révélateur. En proposant un reflet distordu de la société, il nous permet de mieux en discerner les contradictions et le grotesque. Ici, Folman illustre les moyens mis à la disposition du cinéma pour se battre contre le numérique, la télévision, internet. « Il s’agit plus d’un film sur la culture que d’un film sur la guerre » précise le réalisateur.
Au-delà de notre rapport à la société, la science-fiction dit aussi quelque chose sur notre rapport à l’humain. Ici, la crainte d’une perte d’identité. Étudier ce qui définit l’être humain est un questionnement propre à la science fiction - voir Blade Runner (P.K. Dick, 1966), Ghost in the Shell (M. Shirow, 1989), 2001, L’Odyssée de l’espace (S. Kubrick), etc. Lors de la sortie d'Avatar de James Cameron en 2009, le producteur déplorait le fait que les acteurs virtuels ne puissent pas gagner d’Oscar. Les superhéros actuels sont virtuels. L’acteur derrière le héros n’existera peut-être bientôt plus. L’acteur laisse sa place au tout puissant numérique. Le Big Brother de 2013, c’est l’image. Avec Le Congrès d'Ari Folman, la SF assume son rôle d'initiateur d’une méditation prospective et se positionne dans une démarche de réflexion collective sur les choix d’avenir.
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