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Le fameux intérêt suprême de l'art

Difficile de parler mal d'un film qui nous a profondément impacté. C'est à dire que le scénario en soit suffit à nous faire ressentir toute la palette d'émotion recherchée : la colère, le dégout, la haine, etc. Pourtant on parle bien d'un film, le scénario a, certes, une place non-négligeable, surtout dans un film comme celui-ci, "biopic d'une relation immonde", ce qui compte, bien au dessus de ça c'est la mise en image, la manière dont la réalisatrice à fait son film.


Autant dire que ce n'est pas particulièrement brillant. Le film est, du début à la fin, de la première à la dernière minute, filmé en gros plan, des gros plans par ci, par là, et pourquoi pas aussi ici ! Non, ce n'est pas possible. La scène d'introduction représente d'après moi parfaitement le problème. 7 ou 8 champs sur des personnages dans une soirée mondaine, la voix de Matzneff (qui, disons, le, est excessivement bien interprété par Rouve, mais à mon grand damne, puisque ma passion pour Rouve est sans borne, un acteur ne fait pas un film) retentit dans l'entièreté de la pièce, il surplombe tout, il est puissant, charismatique, il a tout, et rien ni personne ne peut s'élever contre lui. Et là, comment introduit-ton Rouve ? Un plan du bout de la table avec tous les acteurs le regard rivé sur lui ? Un plan surplombant montrant les regards. Puisqu'avant tout c'est ça l'objectif de la scène, faire comprendre pourquoi Matzneff arrivait à attirer qui il voulait et pourquoi il a toujours été protégé. Il doit occuper toute l'image, être si puissant que même la caméra ne peut pas capter l'aura de l'abject homme. Eh bien non, pas de plan en centralité, un gros plan immonde depuis le dessus de l'épaule de Vanessa. Pourquoi ? Pour rien, et c'est ça le problème, on fait des gros plans puisque c'est la seule chose qu'on sait faire. D'ailleurs ce tic de mise-en-scène pose un problème, car lorsque les gros plans deviennent obligatoire, ou du moins très important (les scènes confinées dans le studio entre l'adolescente et l'affreux Matzneff, gros plans pour marquer une proximité malsain)e. On la ressent mille fois moins puisque notre oeil est habitué à ça, une scène où Matzneff se cache et ment à la brigade des mineurs est filmé de la même manière qu'une scène de sexe pédophile. Ce n'est pas sérieux.


Je garde au niveau du scénario des réserves sur la fin où l'on voit Springora aujourd'hui, décidant de se mettre à la rédaction de son livre. Loin d'être nécessaire, le propos n'est pas la parole de la femme qui se libère, ni même la défense de la bourgeoisie culturels des pédophiles pour l’intérêt suprême de l'art, c'est celui d'une relation abusive, toxique, pédophile, comment l'artiste profite de sa notoriété au nom du fameux "intérêt de l'art". Après c'est un choix, mais ce choix ne correspond au reste des choix scénaristiques du film.


Film une fois de plus excessivement voyeuriste, montre ce que les gens veulent voir, du morbide, du malsain, en cachant ça derrière "ouuuh ça fait peur hein, heureusement qu'on n'est pas comme ça, heureusement qu'on n'a pas subi ça". Se rassurer de son humanité, en se disant qu'au fond les gentils c'est nous, les méchants c'est eux, heureusement qu'on est des gentils et pas des méchants. Après ce n'est pas nouveau, des grands films travaillent ce sujet (je pense comme ça à The House That Jack Built de LVT), mais je trouve que choisir un sujet artistique pervers, celui de montrer l'abject, sans le travailler plus que ça (ce que THTJB fait, il parle bien du voyeurisme du spectateur qui aime voir un tueur en série affreux). Le film ici ne tient aucun discours sur ce point, ce n'est pas obligatoire, et il est difficile de l'incomber intégralement, c'est simplement dommage de ne pas travailler ça. Spécifiquement quand l'auteur dont on parle dans le film était particulièrement apprécié pour son travail sur le voyeurisme, les gens lisaient ses livres parce que "Ahlala, il en fait des choses, il est abject ce monsieur, heureusement que moi je suis gentil, je ne suis pas méchant comme lui". En soit montrer ça c'est presque adapter du Matzneff, la morale du spectateur décide la normalité ou non de la relation. C'aurait été intéressant de dire "montrer cette histoire, c'est montrer quelque chose que Matzneff a lui même raconté, c'est comme si l'on en adaptait, et toi, toi spectateur, qui n'a jamais lu Matzneff, ne te sens tu pas mal d'aimer voir ça ? Tu vas dire a tout le monde "oh c'était difficile à voir, un supplice ! Je te le conseille donc", explique nous ce qui te plait, ce qui te plait c'est ce qui a plu aux gens saluant Matzneff, le malsain, le terrifiant, le morbide, tu aimes ça parce que tu es humain, et si à l'époque tu avais lu Matzneff, tu l'aurais recommandé de la même manière que tu vas recommander ce film. Tu aimes le dégoutant et tu ne te l'admettras pas, mais regarde toi dans un miroir et accepte.".


De belles performances (si Rouve à un César ça sera franchement mérité), un scénario qui fonctionne, sans aller loin dans une réflexion sur l'abject dans l'art (alors que c'est tout de même en partie le sujet !), mais une mise en image catastrophique, incapable de comprendre ce qu'elle fait elle-même.


McTrobo
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le 13 oct. 2023

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