かぐや姫
Isao Takahata réalise avec Kaguya-hime no monogatari une merveille visuelle. S'appuyant sur le meilleur des techniques d'animation dernier cri, son équipe accouche d'un défilé époustouflant d'images...
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le 16 juil. 2014
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10
Le Conte de la princesse Kaguya est une fresque de la condition humaine, illustrant habilement tout ce qu'elle a de merveilleux comme de banalement atroce. Le film nous livre son récit édifiant au travers de l'allégorie du personnage de Takenoko, dont on suivra l'intégralité de la vie, de ses premiers instants à ses derniers.
Je ne sais plus qui j'entendais dire récemment que la mesure d'un bon film était d'encore hanter l'esprit du spectateur des mois après le visionnage, plutôt que son appréciation sur le moment. Je ne sais pas à quel point je rejoins cette perspective, toujours est-il que si on l'applique à ce film, dans mon cas, il est indubitablement excellent.
Malgré une expérience de visionnage assez hétéroclite, non point qu'elle fut occasionnellement mauvaise, mais plutôt que certaines portions de l'intrigue m'ont moins captivé (e.g. la compétition des courtisans), force est d'admettre que le final m'a mis une bonne claque, doublée d'un coup de pied au derrière. Une forme de rappel à l'ordre existentiel sur des points où je commençais à m'affaisser dans la complaisance.
Ce film est bouleversant, pénétrant, subtil et profondément humain. En somme, tout ce que je recherche dans un film (ou presque, je suis aussi amateur d'action chaotique et effrénée). Ce n'est que l'hétéroclisme susnommé qui me retient de mettre le 10 paroxystique. C'est assez subjectif comme motif certes, mais tous les 10 le sont fondamentalement.
--------------------- Alerte danger divulgâchage ™ ---------------------
Je préfère prévenir le lecteur qu'à partir de ce point, cette critique va allégrement divulgâcher et se transforme en pseudo-essai dense en questionnements existentiels discutables.
(Oui, je vais pas non plus mettre plus de la moitié du texte dans une balise spoiler).
Vous qui entrez ici, poursuivez à vos risques et périls.
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Bon, maintenant que j'ai fini de lui tresser un panégyrique, concentrons nous sur ce qu'il me semble avoir perçu des messages du film.
Ainsi, j'y lis une injonction assez accentuée de la meilleure manière de vivre sa vie par le contre-exemple, d'où mon titre. En effet, cette pauvre Takenoko, que l'on nommera désormais Kaguya dans un souci de clarté, gâche la majeure partie de sa vie par inertie et excès d'obligeance. La réalité glaciale des conséquences d'avoir sous-estimé la brièveté de la vie par indolence existentielle est bien amère.
Plutôt que de suivre son instinct premier et sa source majoritaire de joie dans la vie, à savoir aller batifoler gaiement dans la cambrousse avec sa bande de polissons, elle se résigne aux fantaisies puériles de son père. La version japonaise de M. Jourdain. Un nigaud obsédé par son ambition princière pour sa fille. D'ailleurs difficile de savoir où commence et s'arrête celle-ci face à son ambition personnelle. Toujours est-il que pour un type obnubilé par l'idée de rendre sa fille heureuse, il est totalement infoutu de la voir pour qui elle est vraiment et reste bloquée sur une projection imaginaire jusqu'à ce qu'il soit trop tard.
En effet, le film traite entre autres judicieusement du rapport aux parents et des dynamiques familiales. Comme dirait un certain Jung, "rien n'influence plus un individu que son environnement psychologique et particulièrement, dans le cas des enfants, la vie que leurs parents auraient souhaitée avoir."
On peut aussi potentiellement interpréter dans le comportement du père une forme de biais dans sa lecture des différents "symboles" qui lui sont présentés dans les bambous. Pour citer Kant, "nous ne voyons pas le monde tel qu'il est, mais tel que nous sommes".
En tout cas, il se campe inflexiblement sur cette première interprétation de faste et de royauté qui lui servira d’œillère pour tout le reste du film, contrairement à sa femme bien plus ancrée dans la réalité et le bon sens.
Au-delà de ce pauvre bougre, le film laisse peut-être pointer là aussi une critique d'un matérialisme débridé, des hiérarchies et des simagrées sociales arbitraires et tyranniques. Au final, le bonheur se trouve dans la simplicité qui berçait l'enfance de Kaguya. Une félicité ironiquement perdue durant la quête irrationnelle du mieux, à la recherche de la version doxique de l'accomplissement selon le zeitgeist.
Pour en revenir à Kaguya, elle aurait donc mieux fait de suivre son impulsion rebelle momentanée et envoyer paître son père et ses attentes, pour vivre sa propre vie comme elle l'entendait. La vie est trop courte pour qu'on la sacrifie à longueur de journée, afin d'éviter de perturber son entourage, empêtré dans la mélasse infertile de la routine inexorablement anecdotique. Un joli oiseau qui a perdu goût au chant enfermé dans sa petite cage.
On pourra aussi noter une certaine touche féministe, à la subtilité rafraîchissante. En effet, elle s'abstient de se dérouler un tapis rouge et de faire sonner les trompettes. Elle transmet son message par l'émotion et l'empathie plutôt que le prêchi-prêcha. Ainsi, le spectateur pourra s'indigner justement et de son propre chef de la présentation du plus grand bonheur en tant que femme comme étant d'épouser l'homme le plus puissant possible.
On pourra également apprécier de passer sa cérémonie d'anoblissement, qui sert principalement à claironner au monde qu'il y a de la viande fraîche sur le marché conjugal, cloîtrée dans une chambre minuscule pendant que les convives se pochardent des jours durant.
Au final, quand la "Mort" approche tout ce petit monde décuve rapidement, y compris la princesse, mais il est malheureusement un peu trop tard. (D'ailleurs, au passage, il m'est sympathique le Sutemaru, n'empêche qu'il était sacrément prompt à accepter l'idée abandonner son gamin à tout jamais.) Il aurait fallu se rappeler plutôt que ce qui est important dans la vie c'est la congruence, d'être fidèle à qui on est et se concentrer sur ce qui a du sens, ce qui se traduit souvent par des activités somme toute assez humbles.
C'est un message précieux, espérons que nous aurons la sagesse d'en prendre de la graine.
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Créée
le 24 juil. 2022
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