Le convoi du Salaire de la peur débuta son périple en 1949 sous la plume de Georges Arnaud, fit escale dans les salles obscures en 1953 grâce à Henri-Georges Clouzot puis, enfin, boucla la boucle en 1977 avec Sorcerer. William Friedkin, admirateur revendiqué de H.G.C., adaptait donc l’adaptation de ce récit d’aventure saupoudré d’une chape plomb prégnante : nulle intrigue fantastique donc, le titre « Sorcier » pouvant laisser entendre le contraire pour le profane, quoique nous puissions lui reconnaître un pouvoir d’attraction presque surnaturel.


Pourtant, les premiers instants de Sorcerer sont aussi énigmatiques que « bruts » ; les futurs protagonistes de son intrigue sont introduits sans harnais, chacun en proie à des troubles de tout acabit... mais partageant une même constance : la fuite ou l’impasse. Une entrée en matière itinérante à travers le monde, pour un point de chute commun : celui d’un pays sud-américain non nommé, dont la chaleur accablante, la misère ambiante et l’hostilité des autorités locales auront raison de la retraite de Kassem, Manzon et Scanlon.


Ces derniers, purs produits de sociétés différentes mais liées par leurs tourments, sont le gage d’une distribution de tout horizon, rassemblée par la force des choses... sans que cela ne gomme totalement leur passé respectif. Le premier conservera son « don » pyrotechnique tout en discrétion ; le second le doux-amer souvenir de l’être aimé et le leadership ; le troisième son efficacité au volant, doublée d’un pragmatisme fluctuant. Comme en écho à ces portraits divers et intrigants, exposés sans empressement, le récit opte pour un rythme aux antipodes du trépidant.


Cela a d’ailleurs pour effet de nous laisser spéculer en vain sur les intentions de Nilo, dont le rôle caché aurait pu être d’occire vous-savez-qui. Que nenni, celui-ci ne s’avérant guère différent de ses trois « compagnons » de route : Sorcerer capitalise toutefois savamment sur l’inimitié et le doute des uns et des autres, d’autant plus que l’âpreté du voyage aura raison de la stature de ses plus fortes têtes. Étonnement, le film s’avère alors imprévisible dans son cheminement, fruit d’une ébauche patiente et consciencieuse, base toute désignée d’un dernier acte saisissant.


Car là est la force de Sorcerer, lui qui fait de ce périple impossible à travers la jungle, les routes escarpées et la menace de soubresauts aux finalités explosives... une quête impossible sur le papier. Certes, à l’impossible nul n’est tenu, mais pas pour ces hommes au pied du mur, n’en déplaise aux éléments déchaînés, périls guerriers et faillites morales : c’est ainsi que, lentement, s’instaure une atmosphère tenant de la bulle hors du temps, poisseuse et tendue, intangible mais étouffante.


Contre toute attente, les coups fatidiques ne sont pas les plus évidents : le trépas d’une paire de valeureux se veut en ce sens abrupt, non annoncé. En dépit des exploits et de l’abnégation de ces figures prêtes à tout, le sort sait être cruel, ou tout du moins cruellement aléatoire : leur aventure demeure encore et toujours suspendue à un maigre fil qu’aucune volonté ne saurait influer. Via la caméra de Friedkin, les seconds couteaux Roy Scheider, Bruno Cremer, Amidou et Francisco Rabal incarnent avec brio les pantins d’une vie sans concession, pas plus aidé par leurs commanditaires qui n’auront même pas daigner sécuriser les portions de routes pouvant l’être.


Sorcerer a donc cela de fascinant qu’il fait de son thriller un périple transcendant le peu d’artifices employés, pente douce nous précipitant dans le sillage de cette troupe désespérée ; la chose est d’autant plus frappante à l’aune des derniers pas hagards de Scanlon, aux portes de la folie mais parvenant tout de même à ses fins : le film en profite ainsi pour déployer quelques savants plans, marqués du sceau d’un onirisme captivant.


Mais, car il y a toujours un mais, la rédemption ou ne serait-ce que le bonheur sont ici des denrées révolues... au contraire du passé qui, lui, peut encore et toujours se rappeler à notre bon souvenir. De quoi conférer à cette danse inopinée et conclusive de forts accents mélancoliques, rideau « rêvé » s’il en est. La partie était bel et bien perdue d'avance.

NiERONiMO
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le 9 sept. 2021

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NiERONiMO

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