Réaliser un remake d'un grand classique est toujours une gageure qui plus est celui du mythique film d'Henri George-Clouzot. Cette fois, le pari est réussi et nous avons affaire à un film fort différent, bien que la trame soit préservée. Friedkin a toujours clamé que Sorcerer est une nouvelle adaptation du roman, et non un remake du Salaire de la Peur. Le tournage est un enfer qui rappel celui vécu par F.F Coppola pour Apocalypse Now, où encore Werner Herzog pour Aguirre, la colère de Dieu et Fitzcarraldo.


D'abord, les personnages principaux, bien que très immoraux, sont intéressants à suivre. Le film débute sur une longue introduction présentant les trois principaux protagonistes. Manzon est banquier à Paris et risque la prison pour spéculation. Scanlon est un escroc New-Yorkais dont le dernier coup tourne mal et qui se retrouve recherché par des truands. Kassem, terroriste arabe, a la police à ses trousses pour avoir organisé un attentat à Jérusalem. Les trois prennent alors la fuite et l’histoire peut commencer dans une raffinerie de pétrole au fin fond de l’Amérique du Sud où ils vivent dans un bidonville. Les protagonistes sont installés tels les figures dominantes d'une fresque tragique, le contraste fou du long prologue d'exposition - entre film de gangster, thriller, cinéma français et documentaire de guerre - s'apparentant à un doigt aiguisé pointant leur indétournable malédiction. Sur la musique étouffante de Tangerine Dream, deux camions massifs et fragiles circulent alors entre film d'aventure et cinéma fantastique, filmés tels des machines démoniaques amenant leurs victimes aux confins de la douleur vers un prodigieux climax esseulé et hallucinogène. Jouant avec l'empathie des personnages dans une tempête de scènes mémorables sur le fil du rasoir, résultante probable d'un tournage invivable, Sorcerer est un funeste voyage au bout de l'enfer, l'humain transpirant par tous ses pores d'un gasoil écarlate au milieu de ce duel implacable entre la nature et l'industrialisation, fascinant purgatoire d'un paradis perdu.


Mêlant dangers de la nature, violence, terrorisme, banditisme, affaires pétrolières juteuses, hommes d'affaires ruinés, William Friedkin nous livre un long-métrage complexe dans son fond et dans sa forme. Le réalisateur ne déroge pas à sa réputation, son film est violent, explosif, bien ficelé et surtout affiche un pessimisme que l'on n'est plus habitué à voir dans les films modernes. Le décor est ainsi un personnage à part entière, Friedkin ayant déniché des endroits absolument surréalistes. Autres personnages emblématiques du film : les deux camions utilisés pour la traversée, deux monstres de ferraille que l'on croirait vivants, le metteur en scène parvenant par on ne sait quel miracle à les rendre à la fois menaçants et capricieux. Sa mise en scène se montre imaginative et efficace à tous les niveaux et son film ne souffre à mes yeux d'aucune baisse de rythme.


En outre, le cinéaste va plus loin que Clouzot en enrichissant son canevas de thriller sur l’instinct de survie d’un regard géopolitique enragé, pessimiste en diable, sur un monde que Friedkin décrit comme étant au bord de l’explosion. Son statut d’œuvre culte n’aura jamais cessé de grandir toujours plus au fil des années, et sa récente restauration – pour le coup absolument fabuleuse – aura poussé le public à lui offrir l’accueil triomphal qu’il aurait toujours dû avoir, tout en laissant William Friedkin affirmer qu’il s’agit du film dont il est le plus fier.

Caelum
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le 12 oct. 2015

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