J'ai (vraiment ?) oublié de mettre un titre*

Alors qu’il revient d’un long séjour en maison de repos, le dramaturge à succès Darius (Albert Dupontel) découvre que la promotion de sa prochaine pièce bat son plein. Elle a un théâtre, un distributeur, un metteur en scène, des acteurs… Tout ce qui lui manque, c’est un script, que Darius a oublié d’écrire ! En panique, il s’attelle à la tâche, mais c’est toujours quand on cherche l’inspiration que celle-ci fait défaut.


« L’humour est une disposition d’esprit qui fait que l’on exprime avec gravité des choses frivoles et avec légèreté des choses sérieuses ». S’il fallait prouver par l’exemple cette citation d’Alfred Capus, on pourrait tout-à-fait chercher du côté de la comédie noire d’Albert Dupontel Le Créateur.
Dans ce dernier, l’acteur-réalisateur illustre cette définition à merveille, tant il s’ingénie à évoquer des sujets graves tels que la mort ou la religion sur un ton drôle et enjoué tandis qu’il dramatise à souhait des événements de bien moindre importance tels que l’absence d’inspiration ou la mort d’un chat. C’est cette inversion des codes qui permet à la satire de si bien fonctionner, notamment dans sa représentation sévèrement critique du théâtre contemporain (Pierre – hilarant Nicolas Marié – qui saute de joie à chaque mot de Darius, y voyant le fruit d’une intense réflexion artistique, et surtout une occasion de remplir les caisses de son théâtre), tout en nous offrant de nombreuses pistes de réflexions sur la création artistique en elle-même.


Une autre citation que Dupontel semble s'ingénier à prouver avec son film pourrait être également la suivante, qu'on doit à Paul Valéry : « La fatigue des sens crée. Le vide crée. Les ténèbres créent. Le silence crée. L'incident crée. Tout crée, excepté celui qui signe et endosse l'oeuvre.» Car tous ces éléments que cite Valéry sont bien les mêmes éléments qui interviennent dans le processus créatif de Darius


(ou du moins le croit-on jusqu'à l'arrivée d'un twist diaboliquement cruel et intelligent...)


tout autant - et c'est là la génie du film - que dans le processus créatif d'Albert Dupontel lui-même, qui crée une comédie savoureuse, plus dramatique en apparence qu'il n'y paraît de premier abord, à partir de rien, à partir du « vide et des ténèbres ».
Mais la satire ne se limite pas au seul monde du théâtre, et à travers une galerie de personnages bien choisis et particulièrement hauts en couleurs, c’est toute la société que Dupontel représente dans son film (le grincheux qui se dit « heureux d’être malheureux », le voisin envahissant qui voue une admiration sans bornes au dramaturge, la journaliste qui se croit cultivée et intelligente par l’emploi excessif de métaphores douteuses…), à l'image du théâtre lui-même, car le théâtre n'est-il pas avant tout un microcosme ?


Pour accompagner cette satire, teintée d’un cynisme parfois très amer, le réalisateur n’a pas oublié la qualité esthétique de son film, et sur le plan visuel, il ne laisse rien au hasard, autant grâce aux cadrages parfaitement millimétrés de Philippe Robert qu’aux hallucinants jeux de lumière et de couleurs de Jean-Pierre Thibault. Sans parler d’un montage d’une extrême rigueur, signé Scott Stevenson mais auquel Dupontel lui-même a plus qu’activement participé, montage qui nécessita d’ailleurs 7 mois au lieu des 4 initialement prévu. C’est dire que Dupontel n’a rien laissé au hasard, et cela se ressent parfaitement, malgré quelques lenteurs ou une fin inutilement absconse, dans une comédie qui réussit à être tout à la fois décalée, élégante, drôle et intelligente, et qui nous rappelle qu’en ces tristes temps de néant artistique, le cinéma français comporte encore en son sein quelques authentiques créateurs.


*Désolé, je sais que ça n'est pas très gentil de mettre un titre qu'on ne peut comprendre qu'en ayant vu le film, mais c'était trop tentant...

Tonto
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le 1 juil. 2017

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Tonto

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