Arizona Jim
Avec son intrigue montrant les travailleurs d'une maison d'édition transformer celle-ci en une société coopérative, il ne fait nul doute que Le crime de Monsieur Lange, basé sur un scénario de...
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le 5 avr. 2017
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Le crime de Monsieur Lange est un film à part dans la filmographie de Jean Renoir pour plusieurs raisons.
Premièrement c'est un film réalisé en novembre-décembre 1935 et sorti en janvier 1936 quelques mois avant les élections de 1936 et l'avènement des forces progressistes du Front Populaire. Renoir, qui était en couple avec Marguerite Houllé, fille de militants communistes et syndicaux et monteuse de ses films depuis 1930 (la Chienne) (qui deviendra Marguerite Houllé-Renoir par la suite, on l'aperçoit dans Partie de Campagne, la servante du veuf Poulain, interprété par...Jean Renoir en 1936), acquiert une réflexion puis une conscience politique, pris dans le tourbillon de cette époque agitée qui suscitait forcément l'engagement politique.
Noël Simsolo dit que c'est le seul film de l'histoire du cinéma où un meurtrier est absous et pardonné par un jury populaire pour avoir tué "un salaud" ! Oui Batala est un salaud mais un salaud qui sait se faire aimer !
Nous y reviendrons plus loin...
Deuxièmement la relation entre Renoir et Prévert (seule et unique coopération entre deux géants du cinéma) fut épidermique : passionnée, violente mais si riche artistiquement ! Une telle rencontre qui laissa des traces des deux côtés fût unique.
Renoir expliquera plus tard que leur relation fut "fusionnelle", "passionnée" mais qu'ils ne pouvaient plus travailler ensemble....dommage pour nous. Renoir n'est pas Carné, moins "docile" et surtout plus exigeant pour les dialogues et sur la manière de tourner. Renoir épuisa et énerva sans doute Jacques Prévert. Néanmoins leur collaboration donnera un souffle nouveau sur le cinéma !
Prévert amènera toute sa troupe issue du groupe "Octobre", qui jouait dans des usines des pièces de théâtre, de mimes et des numéros musicaux. Maurice Baquet (que l'on reverra dans les Bas-fonds) fut repéré grâce à son violoncelle plus grand que lui...Guy Decomble (l'instit d'Antoine Doinel dans les 400 coups), Brunius (que l'on reverra en train de se friser les moustaches dans Partie de Campagne), Nadia Sibirskaïa (présente également dans le film de Renoir, la Vie est à Nous), Sylvia Bataille (fabuleuse dans le rôle Henriette dans Partie de Campagne et qui abandonnera le cinéma, hélas, pour épouser Lacan...)Tous des acteurs engagés ! Dans leur époque, dans leur combat !
Troisièmement c'est la première fois que l'on entend parler de coopérative au cinéma ! D'ailleurs on entend cette phrase "Une coopérative, qu'est-ce que c'est ?" Une bonne et vraie question ! L'idée de coopérative signifie qu'un autre monde et qu'une autre façon de penser la société sont possibles si l'unité est forte dans le coeur de ces femmes et ces hommes qui ne sont pas seulement "des meubles" comme le prétend Batala.
Batala, un éditeur véreux, corrompu et voleur est un arnaqueur qui ne veut faire que du profit en se fichant totalement de ses dessinateurs, scénaristes et imprimeurs...Jules Berry, acteur qui adorait jouer les rôles de "salaud" mais qui avait le grand talent pour les rendre sympathiques. La scène entre Lange et lui est un symbole. Beaucoup pensent que la fameuse réplique de Batala "Tu devrais me tuer" -Lange "Oh oui ! Qui vous regrettera ?" Batala "Mais les femmes mon vieux !" était une improvisation de Berry mais en fait non ! Renoir et Prévert ont tout écrit. Et même pour le spectateur si cela paraît facile, évident, il y a un réel génie dans la mise en scène de Renoir et superbement transcendé par le travail photographique de haut vol accompli par Jean Bachelet.
Le fameux panoramique à 360° en est la preuve. Mais au fait pourquoi ce plan ? Quelle en est la justification ? Juste un délire de mise en scène, pour faire "joli" ? Assurément non ! Ce plan est essentiel pour la compréhension du propos de Renoir. La cour est ronde, les pavés qui la composent sont concentriques. L'espace et le cadre nous ramène à cette cour et quand Lange a pris la décision irrémédiable de tuer "l'infâme" Batala, la caméra le suit puis brusquement change de direction et va à l'opposé de Lange dans un panoramique à 360° pour mieux saisir Batala dans toute sa stupeur : Lange ne recule pas et va jusqu'au bout, jusqu'au meurtre. Je vous invite à chercher les schémas qui détaillent ce mouvement d'appareil très complexe ! André Bazin écrivait magnifiquement à propos de ce plan : "Aussi Renoir nous a t-il préparés inconsciemment à l'admettre par la scène du concierge ivre (qui chante c'est la nuit de Noël "Chaque fois qu'il est tard et que je suis saoul, j'crois que c'est le réveillon !") traînant les poubelles tout autour de la cour. Le mouvement circulaire est ainsi inscrit dans notre oeil et c'est sa persistance mentale qui contribue sans doute à faire admettre l'abstraction du panoramique qui va suivre."
La profondeur de champ, très présente dans ce film constitue à n'en pas douter, "la maquette" de La Règle du jeu qui sortira en 1939. Cette profondeur n'est pas un effet de style elle est au coeur du film, au coeur de l'oeuvre de Renoir qui la commentera en ces termes :"Plus j'avance dans mon métier, plus je suis amené à faire de la mise en scène en profondeur par rapport à l'écran ; plus ça va, plus je renonce aux confrontations entre deux acteurs sagement placés devant la caméra comme chez le photographe".
Avec le crime de M.Lange, Renoir a trouvé son style, son langage.
La musique de Jean Wiener (père de l'actrice et chanteuse Elisabeth Wiener) est elle aussi "circulaire", la ritournelle à l'orgue de barbarie rythme le film, ponctué par une très belle chanson, "Au jour le jour" chantée par Florelle, composée par Joseph Kosma et qui décrit parfaitement la vie précaire et heurtée de Valentine avant la blanchisserie. D'ailleurs avant de revoir Batala, Lange, un peu ivre, demande à Valentine ce qu'elle faisait avant la blanchisserie, Valentine, hésitante lui rétorque "Tu veux vraiment savoir ce que je faisais avant ?" Et Lange de clore le débat "Non, c'est maintenant que ça compte" ! Maintenant le désir de changement, ce nouvel élan de vie et l'espoir sont clairement perceptibles et déterminants...Le passage à l'acte est l'élimination de Batala qui veut tout casser, tout briser. Cela n'est plus acceptable pour Lange et pas seulement pour lui mais pour tous les autres de la cour qui lui font confiance !
En conclusion je citerai François Truffaut qui écrivait à propos du film "Le crime de M.Lange est de tous les films de Renoir, le plus spontané, le plus dense en "miracles" de jeu et de caméra, le plus chargé de vérité et de beautés pures, un film que nous dirions touché par la grâce"
Un film indispensable ! A voir et à revoir ! Une leçon de vie et de cinéma !
Créée
le 22 mars 2019
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