Quel film curieux ! Moi, si prompt à vilipender l'absence de prise de risques de certains réalisateurs, là je reste coi. Dujardin, qui interprète l'improbable Georges, y est bedonnant, vouté, grisonnant et complètement à la masse. Adèle Haenel a même le visage qui parait presque émacié sur certains plans, c'est dire. Et ça commence avec notre Georges, justement, qui achète à prix d'or une veste en daim sortie tout droit de la garde-robe de Davy Crockett...
Alors, on va se le faire en mode dissertation. L'avantage du bac, une fois qu'on l'a eu, c'est qu'on ne peut plus le perdre. Donc, j'y vais franco : cette veste en daim, que symbolise-t-elle, de quoi est-elle la représentation ? L'être aimé, possessif jusqu'à la jalousie, cherchant l'unicité jusqu'à vouloir effacer ses rivaux ? Dominatrice et envoutante, cette veste à franges. Et comme chacun sait, l'amour est aveugle. Et ce pauvre Georges qui ne prendra jamais conscience des défauts de son âme soeur ! Où alors, représente-t-elle le besoin de posséder à tout prix un bien (matériel) unique en son genre, celui que les autres ne pourront jamais avoir ? Ce film ne serait-il pas alors une métaphore d'une société matérialiste au sein de laquelle tout un chacun est prêt à tout, mais alors vraiment à tout pour arriver à ses fins possessives. Et pour conclure en apothéose ce paragraphe bancal, la possession d'un bien et celle d'un être ne rejoignent-elles pas dans un seul et même monstrueux dessein ?
Hum, bon, j'ai du un peu m'emballer. N'empêche que ce film laisse perplexe et que du coup, il fait cogiter. Et qu'il a aussi un côté sombre, très sombre, magistralement filmé dans des paysages pyrénéens de demi-saison, crépusculaires. Et que je te mets du fond de vallée sous averse de neige fondue tout au long du film, jamais un rayon de soleil. Des autochtones inquiétants, parfois jusqu'à l'angoisse, comme ce gamin mutique qui va dévisager longuement Georges à deux reprises. De quoi vous dégouter à tout jamais d'entreprendre la traversée des Pyrénées par le GR10...
Un seul point négatif à mes yeux, à vrai dire : le fait que le scénario soit trop centré sur le cinéma. Je ne sais pourquoi, je suis toujours irrité par les cinéastes qui font du cinéma l'un des sujets centraux de leurs films. De même que je le suis par les auteurs dramatiques qui font du théâtre le sujet central de leurs pièces. Ca marche aussi avec les écrivains et les musiciens, soit dit en passant. Et vous noterez en passant que les sportifs ne sont pas confrontés à ce type de problème. Tout ça pour dire que ce côté nombriliste (eh oui, voilà, le mot est lâché) m'a légèrement déplu dans ce film, qui aurait pu afficher ses nombreuses qualités, l'interprétation et l'atmosphère par exemple, sans qu'il n'y soit jamais question de cinéma. A moins peut-être que ça n'ait servi à faire en sorte que "Le daim" soit présenté en ouverture de la quinzaine des réalisateurs du dernier festival de Cannes...