Quelle curieuse carrière que celle d'Edgar George Ulmer, allant du nanar le plus fauché au drame puissant comme l'est ce « Démon de la chair » (lui préférer « The Strange Woman », beaucoup plus éloquent). À ce titre, je ne me souviens pas de la dernière fois où j'ai vu une héroïne aussi complexe, fascinante, ayant quasiment tous les atouts de la femme fatale, voire de la garce ultime, auxquels se mélange une véritable sensibilité, une sincère attention à certains proches, la rendant insaisissable, impossible à détester. Hedy Lamarr est splendide, irradiant l'œuvre par sa beauté incandescente et sa présence subjuguante, ses deux partenaires masculins ne pouvant rivaliser, même si, à ce jeu, Louis Hayward se révèle plus inspiré qu'un George Sanders étonnamment fade.
Malgré un évident aspect « film de studio », notamment à travers quelques décors ne faisant qu'à moitié illusion, le film sait créer une atmosphère singulière, portée en cela par un magnifique noir et blanc, ne faisant, pour le coup, pas du tout fauché. Sur un scénario convoquant autant le mélodrame que le Film noir, Ulmer, hormis quelques lourdeurs (l'omniprésence de la musique, monologue final peu emballant), offre un portrait de femme surprenant, régulièrement sous tension et propice à une cruauté parfois du plus bel effet. Le réalisateur de « Détour » aurait mérité plus de projets à la hauteur de son talent, surtout lorsqu'ils sont sublimés par une actrice aussi magnétique. À (re)découvrir.