Non, cette musique n'est pas "jazzy", terme horripilant qui évoque toute influence de la grande musique du XXème siècle sur une BO. Elle est foncièrement jazz (et pas jouée par des seconds couteaux svp : Gato Barbieri, Don Cherry, René Urtreger, Philip Catherine, que du beau linge). Tout comme le film qui en a les caractéristiques formelles : intensité, fantaisie, profondeur exprimée avec légèreté, radicalité, économie de moyens (peu de moyens financiers mais de grands artistes, comme Willy Kurant). Et surtout : liberté de ton. Spécialiste amoureux de cette musique, je vois peu de films pouvant prétendre à un tel degré au titre de "film jazz" (Ascenseur pour l'échafaud peut-être). La musique est quasiment toujours là, mais nullement à la façon "clip" qui m'exaspère dans tant de films. Le jazz fait corps avec le film. Et l'on n'est pas surpris de lire que Skolimowski a laissé dans ce film une grande part à l'improvisation.
Le Départ parle de la jeunesse (le jazz n'est-il pas la musique de l'éternelle jeunesse, celle qui est condamnée à se réinventer sans cesse ?) :
- de ses audaces et de sa créativité (les plans de Marc pour trouver sa Porsche, entrer dans une chambre d'hôtel),
- de son impétuosité (la bagarre sous les panneaux Simca suite à l'accident),
- de son besoin de se griser (ce qu'incarne la course automobile, l'antithèse étant exprimée par tous les adultes, embourgeoisés, éteints),
- de son goût pour le jeu (la scène du miroir, formidable).
Alors, oui, Léaud peut agacer par son excentricité. Pour moi, elle sert impeccablement le propos du film, je dirai même : Léaud est le film. D'où un troisième terme à l'équation : Le Départ = le jazz = Léaud. Ce qui ne diminue en rien les mérites de Skolimowski, maître de l'image. On n'en finirait pas d'énumérer les plans et scènes mémorables. Allez quelques morceaux choisis :
- le carrefour en forêt où se battent les deux compères alors que fusent autour d'eux les voitures ;
- le plan des deux shampouineurs, superbement cadré ;
- la voiture de la riche cliente conduite par Marc dans le brouillard, avec ses phares ressortant et deux autres lumières dans le ciel ;
- l'envoûtant scène de la voiture coupée en deux au salon de l'auto ;
- le miroir cassé qui se reconstitue ;
- la scène des maillots de bain, totalement loufoque...
On pense tout autant au Godard d'A Bout de Souffle qu'à Buster Keaton ou à Tati. Excusez du peu ! Mais Skolimowski, par son art de la composition des images et par ses innombrables trouvailles (il faudrait aussi évoquer le son, comme par exemple lorsque Marc fait éclater des sacs qu'il gonfle... sans le son), affirme son propre style.
Au terme de cet époustouflant périple : l'amour. Nulle scène de sexe dans ce film, si ce n'est la très drôle douceur prodiguée par la cliente dans sa voiture ! Car dans ce film, l'amour précède le sexe. Comme je l'ai lu dans une critique : le film s'achève lorsque les ennuis commencent !
Signalons pour finir l'émouvante interprétation de la chanson du film (tirée de Cléo de 5 à 7 apparemment ?) par Christiane Legrand. Ce qui ajoute une référence : Jacques Demy.
Enthousiasmant.