Le Dernier des hommes par Mickaël Barbato
Le dernier des hommes est un film bien plus profond qu'il n'y paraît. Le monde des apparences y est dénoncé avec une classe habituelle chez le cinéaste, la première partie montre un homme (brillant Emil Jannings), portier de métier dans un hôtel de luxe de Berlin, forcé de quitter son travail à cause de son âge avancé. Il sera jeté à l'entretien des toilettes du lieu, où il atteindra les bas fond de l'âme humaine. Bas fonds avant tout provoqué par quelque chose de très étrange, car après tout nettoyer des toilettes ou porter les bagages d'un riche impoli, quelle différence ? La seule, la voilà : l'apparence. Murnau joue sur ce fait, en instaurant une relation symbolique avec l'ancienne veste du portier. Et alors qu'il continuera de l'enfiler, son entourage finira tout de même par le railler avec une violence bien souligné par le style expressionniste si cher à l'auteur. Et alors qu'on s'apprête à vivre une fin dramatique, intervient un effet de style étrange : un panneau (le film est muet), nous informe que le scénariste aurait pu laisser mourir le pauvre homme mais qu'il préférait avoir une happy end. Etrange sur le coup, pouvant faire penser à une pression de la production pour égayer le métrage, il n'en est rien. Puisque le réalisateur de Nosferatu décide d'utiliser les 26 minutes restantes pour finir de jeter à la face du spectateur tout son dégoût des apparences, de l'amour superficiel qu'elles créées. L'homme reçoit un héritage important d'un homme qui meurt dans les toilettes de l'hôtel. Son testament indiquait qu'il léguait tout à celui qui se trouverait proche de lui lors de sa mort. On peut y voir, bien entendu, un personnage qui avait compris qu'il ne vivait qu'à travers son apparence d'homme riche, et qui devait se trouver bien seul... La fortune du héros est donc faite. Place à la boustifaille d'une quantité écoeurante, aux pourboires donnés comme il le sent, et bien d'autres choses jusqu'à une fin où, finalement, le spectateur n'est pas plus avancé qu'avant le début de ce retournement de situation. On comprend donc que, quoi qu'il fasse, ce personnage est prisonnier de son apparence, dans une situation comme dans l'autre. A travers ce bonhomme ventripotent, à la moustache taillée, se trouve une critique implicite de la condition de l'artiste, qui ne sera jamais aimé comme un homme.