Le Dernier des injustes par Hugo Harnois
« Orphée, tremblant qu'Eurydice ne disparût et avide de la contempler, tourna, entraîné par l'amour, les yeux vers elle. » Regarder en arrière pour voir ce que le passé nous cache peut être dangereux. Mais c'est le travail acharné d'un homme qui a maintenant quatre-vingt sept ans. L'œuvre de toute une vie qui se poursuit aujourd'hui avec Le Dernier des Injustes, brillant témoignage du dernier doyen des Juifs lors de la Seconde Guerre Mondiale.
Nous avons affaire ici à un genre cinématographique qui appartient totalement à son auteur : le « ciné-histoire » subjectif. Lanzmann n'hésite pas à nous réciter des textes pendant plusieurs minutes avec un ton monocorde et une voix mélangeant sévérité et émotion. À l'image de sa mise en scène : très sobre mais aussi d'une certaine rudesse. Le Dernier des Injustes est l'antithèse de la série Apocalypse. Le cinéaste choisi de ne mettre aucune image d'archive dans son documentaire et de laisser parler le passé grâce à la parole et aux témoignages, notion essentielle au travail du réalisateur. C'est par le langage que la reconstitution peut opérer. Elle demande en effet beaucoup de concentration aux spectateurs, qui se rendent finalement compte que le pouvoir des mots peut être parfois plus important que les images.
Mais Lanzmann n'opère pas une mise en scène hasardeuse pour autant. Ses plans peuvent être longs et captent des lieux autrefois inhumains, aujourd'hui déshumanisés. Cette absence de vie nous fait une nouvelle fois retourner vers un passé douloureux qu'on ne doit pas oublier. Grâce à l'intelligence des questions de Lanzmann et la pertinence des réponses de Murmelstein. Si l'on peut douter de son entière innocence lors de la période nazie, nous ne pouvons rester qu'admiratif de sa capacité à argumenter n'importe lequel de ses comportements. Dénonçant la thèse de Arendt, l'ancien rabbin fait, durant ces nombreux entretiens, une description scrupuleuse de l'être humain en temps de crise.
Vieux de trente-huit ans, cet entretien avec le rabbin sort aujourd'hui sur nos écrans. Ce genre de perles historiques doit parfois prendre le temps de bien germer pour obtenir un tel contre-coup, et faire comprendre au public de quoi l'homme est capable. Lanzmann, tremblant que Murmelstein ne disparût et avide de l'écouter, tourna, entraîné par le devoir de mémoire, les yeux vers le passé.