(Spoilers)
Si Michael Mann est probablement LE cinéaste de l’architecture urbaine, il est intéressant de se pencher sur un film qui détonne du reste de sa filmographie. En effet, Le Dernier des Mohicans n’a visuellement rien à voir avec l'œuvre du réalisateur, mais pourtant, le film n’en reste pas moins parsemé par la plupart des gimmick de son cinéma.
Nous sommes en 1992, Michael Mann n’a pas fait de film depuis son Mannhunter, 6 ans auparavant, payant le prix fort de l’échec commercial de ce dernier. Le tsunami Danse avec les Loups a frappé deux ans plus tôt et il est naturel alors de voir Hollywood essayer de capitaliser sur ce succès en lançant des productions similaires, dont une nouvelle adaptation du livre de Fenimore Cooper, Le Dernier des Mohicans.
Et d’emblée, comme si Mann avait besoin de se défouler après 6 années d'inactivité, le film t’emporte dans une séquence qui, de prime abord, pourrait clairement être un climax. Trois hommes courent dans la forêt , pistant, traquant quelqu’un ou quelque chose, la musique de Trevor Jones s’emballe déjà, et si cette séquence s’avère n’être qu’une simple chasse au cerf, l’opératisme de Michael Mann fait mouche. Le découpage, le montage et la physicalité des acteurs, pleinement investis dans leur course effrénée qui ne fait que commencer, font de cette séquence une ouverture parfaite au ton du film.
Dès lors, le film se métamorphose dans un romantisme fort, plaçant et présentant chacun de ses personnages de manière soignée, sans en rajouter, sans s’étendre dans de longues phrases explicatives. Simple, efficace.
Et la magie opère. Daniel Day-Lewis et Madeleine Stowe, à travers une succession de regards, scène après scène, se rapprochent, le film déroule un classicisme sans faille pouvant rappeler certains films de John Ford, et la tragédie se met en place. La brutalité qui découle de ce conflit ne pardonne rien ni personne dans le Dernier des Mohicans, et Michael Mann enchaîne le très bon (attaque des hurons, course-poursuite et refuge sous la cascade, toute la séquence du fort etc…) et le moins bon, soyons honnête (dès que ça parle français c’est une catastrophe, tant tout semble forcé).
Et puis il y a Magua, en quête de vengeance, qui ne s’arrêtera devant rien ni personne. Si le film avait été fait de son point de vue, il aurait très bien pu être le héros de l’histoire. Mais il n’en sera rien, et si ce personnage (formidablement campé par Wes Studi) ne peut que nous être antipathique, il dégage un honneur et une volonté qui apporte son lot de nuances parfaites pour un antagoniste inoubliable.
Et alors qu’on croit voir apparaître un final où notre héros présumé irait sauver sa demoiselle en détresse au moyen de grandes prouesses guerrières, le film prend un dernier contre pied scénaristique pour nous embarquer dans une séquence finale qui est probablement l’une des plus galvanisante qu’il m’ait été donné de voir.
On y voit tout l’amour de Mann pour le cinéma muet, aucune parole, un découpage et un montage d’une précision éclair, et une implication totale du spectateur. La musique vient sublimer un dernier quart d’heure de courses à travers des paysages splendides, où la tragédie vient poindre le bout de son nez, pour en finir avec le parcours de chaque personnage. Il y a tout dans cette séquence : le jeu de regard entre un fils et son père, déchirant, avant la poursuite, la mise à mort de l’officier anglais, cette course effrénée dans les rocheuses, où l’on est à leurs côtés, le sacrifice d’Uncas pour un amour qu’il ne connaîtra jamais, CE REGARD BORDEL, le cri muet d’un père pour son fils, la musique qui reprend car la vengeance arrive, et cet affrontement final qui se conclue par la mise à mort de l’antagoniste dans une succession de plans plus beau les uns que les autres.
Michael Mann filme cette séquence avec un opératisme et une efficacité qui ne sont que les prémisses de ce qu’il poussera encore plus loin, 3 ans plus tard avec Heat, le chef d’œuvre de sa filmographie. Mais cette séquence, à mes yeux, reste un sommet de tragédie et d’émotions, rarement égalé chez lui.
Le Dernier des Mohicans est donc un film unique dans la filmographie de Michael Mann. Une course épique à travers des paysages magnifiques, se terminant brutalement, dans un lyrisme démesuré, sur une vérité absolue. Une œuvre romantique et tragique dans la plus grande tradition du terme, héritier des grands films d’aventures de l’histoire du cinéma.