Qui arrêtera Quentin Dupieux ? Six films en quatre ans, et trois en un, qui l’arrêtera ? Qui lui dira d’arrêter de filmer comme il respire en ne faisant que ressasser ses thèmes de prédilection ? Sans tenter de se renouveler ? Qui donc ? Qui lui dira de se poser, de prendre le temps de mieux développer les sujets qu’il aborde, de ne pas les réduire à de l’anecdotique, à un simple prétexte pour se vanter d’avoir le meilleur name-dropping de l’actorat français (qui le lui rend bien : tout le monde veut travailler avec Dupieux, ou plutôt être dans un Dupieux) ? Le deuxième acte, c’est mise en abîme, discours méta et saillies nonsensiques. La routine dupieuesque, quoi. Du coup, on en viendrait presque à ne plus savoir quoi écrire dessus qui n’aurait pas déjà été écrit.
Mise en abîme, discours méta et saillies nonsensiques, voilà. La même chose que pour Réalité, Au poste !, Incroyable mais vrai, Yannick, Daaaaaalí !… On en arrive à ne plus être surpris, devant un Dupieux. Parce qu’on sait à quoi s’attendre. Parce qu’on sait les chausse-trappes narratives, les absurdités, les distorsions entre fiction et réel qui disent pourtant le nôtre. Il reste quoi alors ? Les acteurs (avec trois nouveaux noms à ajouter au name-dropping susmentionné : Seydoux, Garrel et Lindon, visiblement ravis d’être là). Ici ça tombe bien, c’est un film sur eux. Sur eux devisant sur leur métier, leurs travers et sur notre époque. Confrontés à elle, même, à ses nouvelles problématiques et ses nouveaux enjeux.
Une époque d’individualisme forcené, de séparation de l’homme et de l’artiste, de cancel culture à la sauce #MeToo et minorités, de fin du monde et d’IA conquérante, future fossoyeuse du septième art. Propos dans l’air du temps, mais traités par-dessus la jambe. Jetés en vrac. Sans en creuser les perspectives. En quelques répliques lapidaires balancées entre regards caméra et ras-le-bol de jouer dans une merde (celle dans le film). Et puis Dupieux était trop occupé à vouloir battre le record du monde du travelling (latéral) le plus long, détenu alors par Godard dans Week-end et qui faisait 300 mètres (le double ici, bravo Quentin, vite, appelle le Guinness book).
Le plaisir est donc ailleurs. Dans ce regard posé/détaché sur le métier de comédien avec son lot de compromis à encaisser, d’image à donner, d’égos mal placés, de trac à surmonter (la scène avec Manuel Guillot, en serveur/figurant à vif incapable de servir du vin, est hilarante), d’ambitions et de doutes, de masques que l’on met et que l’on enlève et que l’on remet. Dupieux a expliqué qu’il était impatient de lire nos «critiques, commentaires ou insultes» à propos de son film. Donc Quentin, si tu me lis, bah c’est sympa de faire des œuvres basées sur un concept, mais parfois faut faire davantage qu’uniquement l’étirer sur 1h20 en croyant qu’il se suffit à lui-même. Faut de la matière autour, faut des rondeurs, faut du charpenté.
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