Quentin Dupieux revient (déjà) dans les salles obscures seulement quelques mois après son "Daaaaaalí !" pour nous offrir un long-métrage nous invitant à nous interroger sur la frontière entre fiction et réalité, la question de "l'homme et de l'artiste", et la crispation de la société concernant les propos "qu'on ne pourrait plus tenir".
Comme à son habitude Mr.Oizo nous propulse dans un univers indéfini, à comprendre un monde "hors réalité", un pur décor de cinéma. En effet, la majeure partie du film se déroule "middle of nowhere" dans un restaurant ne semblant pas à sa place, éloigné de toutes formes de civilisation. Les personnages, eux-mêmes, gagnent ce lieu après de longs plans séquences où le décor est absent par l'utilisation d'une longue focale, réduisant l'arrière plan à un simple fond dépersonnalisé, indiquant la volonté de Dupieux à isoler le lieu de l'action en dehors de tout éléments reconnaissables. (Le seul lieu tangible du film apparait à la fin lors du "réel suicide" du figurant, où l'on identifie un lieu familier, maison commune, garage... Il constitut donc la matérialisation du passage entre fiction et réalité).
L'intérêt du film repose sur un jeu constant entre personnages et acteurs, acteurs et spectateurs, personnages et spectateurs. Nous ne savons jamais qui nous regardons, ni à quel niveau de fiction nous nous situons. (le 4ème mur est brisé une première fois après quelques minutes puis une seconde fois au trois quarts du film, une mise en abîme dans la mise en abîme). Le film fonctionne donc sur trois vitesses, le film, le tournage et l'à côté, ou l'œuvre, le travail et le privé. Chacune n'étant jamais réellement ce que l'on pense de ce qu'elles sont censés être.
Nous assistons à un entremêlement d'imaginaire et de matérialité. La caméra insidieuse suit les acteurs dans leur rôle en dedans et en dehors, ne leur laissant aucun repos dans la préservation de leur carrière et de leur réputation. Ainsi, nous nous retrouvons nous spectateurs, investit d'un rôle passif et actif, juge et bourreau. Tout ceci participe à flouter la délimitation entre l'individu et son rôle et donc entre l'acteur et son personnage, et le spectateur et ses "actes citoyens". Le plan final, plan de cinéma sur le cinéma, long travelling où l'on voit l'artifice renvoi à cet entremêlement; Que regardons-nous ? Qui suivons-nous ? Cela sert-il à quelque chose ?
Après "Yannick" entre autres, Dupieux se réessaye à un exercice formel méta textuel et méta cinématographique, vidant son œuvre de toutes substances dialectiques. Le film raconte ce qu'il raconte, c'est à dire, le tournage d'un tournage, renvoyant "La Nuit Américaine" de Truffaut au documentaire comparé à la présente fiction fictionnelle.