Cinéaste du silence, des regards sombres et de l’honneur, Jean-Pierre Melville parvient avec Le Deuxième souffle à une sorte de quintessence de son art intemporel. Un film policier ambitieux (2h 30), qui fascine par la patience avec laquelle il déplie, scène après scène, un monde interlope devant faire face à une mutation des valeurs sur lesquelles il se fonde.
Un changement d’époque imperceptible, mais que le personnage de Gu, après dix ans passés derrière les barreaux, incarné avec aplomb et humble splendeur par le grand Lino Ventura, contribue à faire apparaître en négatif. Un personnage de tragédie grecque, qui sait, quoiqu’il en dise, comment tout cela va se finir : entre quatre planches ; et qui pourtant s’engage pour un dernier coup, synonyme, s’il aboutissait, de délivrance.
Melville démontre une fois de plus avec ce film sa gestion hors-pair du rythme, sa créativité aride et perfectionniste dans la composition des plans, et surtout son intarissable amour pour ses personnages. Des personnages qui sont, comme à chaque fois, de faux archétypes. Des personnages qui, derrière leurs airs de « truands classiques » ou de « flics classiques », sont en réalité des portraits d’hommes virils, en conflit avec eux-mêmes et leur conscience, prisonniers volontaires d’une formidable lutte à la mort.
L’atmosphère inimitable du Deuxième souffle, fruit d’un travail minutieux sur le montage, permet de nous immerger sans peine au sein de cette pègre blessée mais sublime, où pour certains la valeur de la parole dépasse, et de très loin, celle de tout l’or du monde. Quant au mensonge, à la trahison, cela se fait toujours avec classe dans le cinéma melvillien ; sans jamais se départir de son imper sombre et de son fidèle chapeau, le colt à portée de main… Irréel témoignage d’une époque oubliée. Le Deuxième souffle est un immense chef-d’œuvre du film policier, et plus largement du cinéma français.