Personnellement, c'est avec "Le doulos" que j'ai connu mon épiphanie melvillienne.
Jusque là, j'avais vu quelques films du réalisateur, les trouvant parfois intéressants, mais sans jamais vraiment comprendre pourquoi Melville était unanimement célébré.
"Le doulos" est parvenu à m'éclairer, dès sa séquence d'introduction : la longue marche de Reggiani dans la fameuse rue Watt et son inquiétante étrangeté, la bicoque branlante du fourgue plantée au milieu d'un terrain vague, la faible lumière d'un lampadaire... C'est vraiment le décor et l'atmosphère du film qui m'ont accroché d'emblée.
Ensuite il y a l'univers des voyous, les personnages ambigus au possible, l'intrigue passionnante, et d'une durée raisonnable - moins écrasante que les chefs d'œuvre du maître, très longs.
Et puis l'esthétique melvillienne : noir et blanc profond, mise en scène épurée, voitures américaines, fétichisme des imperméables cintrés et des chapeaux...
Pour la première fois, le réalisateur au stetson a véritablement trouvé son style, même si sa quête de l'épure laisse encore la place à de fréquents dialogues et à un scénario tarabiscoté, dont on pourra regretter certains rebonds un peu artificiels.
La distribution remarquable contribue évidemment à la réussite du projet : de Reggiani à Belmondo, en passant par Piccoli et Jean Desailly, chacun apporte sa pierre à cet édifice de faux-semblants. Seul le casting féminin apparaît légèrement en deçà dans cette affaire d'hommes, qui interroge les notions d'honneur, d'amitié et de loyauté.
Dans "Le doulos", Jean-Pierre Melville affiche ses influences américaines, mais parvient dans le même temps à les transcender, signant un film de gangsters bien français, qui tient autant du film noir que de la tragédie.
EDIT : Légèrement moins emballé à la suite de ce re-visionnage, même si "Le doulos" reste à mes yeux un excellent polar français : disons que le scénario qui m'avait semblé brillant au premier visionnage m'est apparu cette fois-ci quelque peu artificiel.