Joel Schumacher doit avoir quelques dossiers gratinés sur certains cadors d'Hollywood, vu ce qu'on lui a laissé faire dans le milieu des années 90. Et avec des petits castings sympas en plus.
Dans Le droit de tuer ? (wait, what ?), priorité est donnée à la collecte systématique de tous les clichés possibles sur les films de procès et ceux sur le racisme combinés. Pour faire bonne mesure, on en ajoute quelques-uns complètement passe-partout, et le tour est joué.
Tout d'abord, les méchants seront très très méchants. Sans demander une analyse en profondeur du tissu social américain (encore qu'en 2h30 (!!!), ça n'aurait peut-être pas été du luxe), j'ai été très déçu par le côté monolithique des rednecks du KKK. Bien sûr, de telles caricatures vivantes existent, mais même pour ceux-là des prémisses d'explications existent : éducation défaillante, climat familial et sociétal, l'héritage du colonialisme, lourd et omniprésent. Les crétins prolifèrent très facilement, c'est entendu, mais une terre un minimum fertile aide beaucoup.
Un autre reproche important concerne le personnage joué par Samuel L. Jackson. Si l'on s'en tient aux faits, à aucun moment il n'exprime de regrets (il confirme d'alileurs tout l'inverse à plusieurs reprises), et il est acquitté. Ça n'a l'air de gêner personne. Au fond de nous, l'on s'en réjouit évidemment, il n'empêche que cela pose d'énormes problèmes, un peu à l'instar d'un History of violence.
Le vigilante, figure chère au cinéma américain, fait écho à notre nature profonde. Beaucoup, j'en suis persuadé, réagiraient comme ce père. J'aurais néanmoins apprécié de le voir accepter les conséquences de ses actes, ou au moins être un peu plus humble. Idem après le verdict : excusé par les circonstances ou non, il a causé la mort de deux personnes. Si il s'estime meilleur qu'eux, la moindre des choses serait de faire montre d'un minimum de culpabilité. Or ici, nada, tout le monde se retrouve autour d'un barbecue, youpi tralala.
Tout à l'euphorie de cette belle victoire pour la Loi du Talion, Schumacher passe l'éponge sur absolument tout, des velléités adultérines de son héros (Sandra Bullock ne réapparaîtra pas à l'écran) jusqu'aux ramifications éthiques et morales des actes de Carl. Même la petite fille violée et torturée a l'air de plutôt bien le vivre, tout ça. C'est beau l'Amérique.
C'est timidement soulevé par Sutherland père, avec cette jolie phrase perdue dans la bouillie des dialogues falots : si tu gagnes ce procès, la justice triomphe, si tu le perds, la justice triomphe (phrase originale et traduction approximatives).
La question était par exemple abordée très adroitement dans La dernière marche : plus que de savoir si Sean Penn était réellement coupable (je ne spoilerai pas, rassurez-vous), le débat était recentré sur la question de la peine de mort d'une part, et sur le fardeau porté par l'accusé une fois le jugement prononcé, quel qu'il soit.
J'aurais adoré explorer cet aspect, plutôt que de savoir si les manigances politiques du "lobby noir" allaient permettre à Carl de payer Jake pour sa prestation.
Parlons-en. Le petit avocat fraîchement installé, criblé de dettes mais extrêmement talentueux (nous dit-on). Foutrement original. Ce génie qui a besoin d'un Deus ex machina en la personne d'Ellen (Sandra Bullock), elle-même étudiante en droit, pour se sortir d'un procès alors qu'il a l'aide d'un avocat bien installé, et un mentor apparemment très doué malgré ses problèmes de boisson (original là encore).
C'est d'autant plus grave que ces incohérences obligent à recourir à des procédés encore plus maladroits afin de préserver l'image du surdoué. Alors que l'on avait eu droit à une scène sensiblement identique environ 15-20 minutes avant, Schumacher se sent obligé de nous remontrer les jurés qui tiennent une petite réunion secrète (et parfaitement illégale) hors-procès pour jauger un peu les positions des uns et des autres. Nous sommes à la veille de la plaidoirie, et pour appuyer sur le retournement quasi magique que cette dernière va opérer, il y a consensus autour de la culpabilité de Carl (alors qu'au "vote" précédent, 4 indécis et 1 contre, en ce qu'on ne peut imaginer autrement qu'un petit appel du pied vers 12 hommes en colère).
Terriblement malvenu, car il dynamite tout seul les deux premières heures de son film. Il l'expose de façon éclatante sans y être forcé : on s'en bat allègrement les steaks de ce qu'il s'est passé, puisque la plaidoirie peut tout faire basculer, qu'on vous dit. Dont acte. Et le spectateur de manger son accoudoir.
Dans la veine du manichéisme et des artifices aussi balourds qu'usés jusqu'à la corde, la femme de Jake (Ashley Judd). Véritable ode à la potiche de salon, cette brave ménagère n'est là que pour servir de caution à son prodige de mari, osant à peine un timide reproche quand il manque causer la mort de la famille entière (bon, la maison finit quand même par cramer) qui est heureusement rapidement effacé quand elle se rappelle qu'il n'y est pour rien. Après tout, il n'a tué personne, lui.
Enfin, sauf éventuellement le mari de sa secrétaire, mais passons.
Tout comme Carl, Jake est de bonne constitution : quelques excuses du bout des lèvres, mais globalement il vit plutôt bien le fait de mettre tout son entourage en danger pour quelqu'un qui, fondamentalement, a commis un meurtre avec préméditation. Si les avocats cherchaient à faire appliquer la loi, on le saurait depuis le temps, hein !
Et la femme donc (ils ont teint Ashley en blonde, afin d'être sûrs qu'elle est bien transparente), s'éclipse après avoir servi les compliments de circonstance à son homme, sur une pseudo-dispute donc. Cela permet de laisser place à la "rivale", cette dernière n'étant là que pour prouver l'intégrité du héros, qui ne va pas succomber à la tentation, non non, y compris sous l'emprise de l'alcool. Quelle droiture, quelle force de caractère, mes'ames messieurs, sa femme est partie depuis 2 jours environ, et il parvient à se retenir de coucher avec une grognasse qu'il a rencontré 3 jours auparavant. Applaudissez bien fort.
On reverra Ashley in extremis, le temps de regretter d'avoir été si crétine, mon dieu. Elle comprend qu'il a refusé de laisser tomber cette affaire parce qu'il aurait sans doute agi pareillement si quelqu'un avait fait ça à leur petite fille chérie. Bon, cette prise de conscience tombe un peu à plat, dans la mesure où il lui avait exactement expliqué ça après environ une demi-heure de film, mais c'est gentil quand même.
Sandra Bullock sera bel et bien cantonnée à son statut de Deus ex machina, faisant grosso-modo le taf de Jake pendant qu'il réfléchit à des moyens de ne pas tromper sa femme, picole avec son pote et a des discussions très profondes avec Carl sur les différences entre les noirs et les blancs, et lui amenant sur un plateau les jurisprudences et arguments pour démonter ses adversaires lors du procès. Bravo.
Dans l'ensemble la note pourra paraître indulgente, parce que malgré tous ces problèmes de fond (conséquents, c'est certain), la forme est acceptable, bien que très tiède. Les acteurs font le job, la réalisation est proprette, et la trame narrative bien rôdée.
Bref rien qui dépasse, pour un sujet qui se veut sensible mais qui finalement reste en surface de façon très décevante, surtout sur une telle durée.
Vous pouvez passer votre chemin sans regrets.