Exercice d'hostile
Le premier quart d'heure est terrassant de puissance. La façon qu'à László Nemes de suivre Saul à hauteur d'épaule est aussi redoutable qu'efficace. D'abord parce que cela oblige le spectateur à...
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le 20 nov. 2015
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Vu en avant première à l'Institut Lumière, en présence de Thierry Frémaux et du réalisateur László Nemes. Diffusé en 35 mm pellicule, format 1:1.
30 secondes d'extraits à Cannes auront suffit à mettre tout le monde d'accord. Le Fils de Saul s'annonçait comme étant la claque de cette année. En traitant ce sujet, on ne pouvait que provoquer chez les gens de l'émotion. Quel qu'elles soient, aussi contraires soient elles.
Et c'est d'ailleurs surement ce qui importe.
Que l'ont ressente quelque chose.
Que l'on n'entre pas totalement avec le film est une chose. Que l'on adhère pas aux choix de mise en scène en est une autre.
Mais quoiqu'il en soit, on ne peut pas passez à côté de ce film.
Parce que son sujet nous concerne.
Le Fils de Saul est de ces films que l'on peut qualifier de nécessaires.
Car il nous rappelle des événements tragiques qu'oublier serait dramatique. A ceci près qu'en plus de les rappeler, il nous immerge dedans. Non pas qu'il nous accuse, nous place dans une position de spectateur mal à l'aise. Jamais le spectateur ne sent mal à l'aise par la culpabilité. Mal à l'aise, il le sera durant toute la longueur de la séance, c'est certain, aussi éprouvante et épuisante qu'elle est, et surement longtemps après. Mais pas pour les mêmes raisons.
Le Fils de Saul fait office de piqure de rappel bénigne, autant, si ce n'est plus, efficace que n'importe quel documentaire ou cours d'histoire.
Inspiré des récits des Sonderkommandos du camp d'Auschwitz Birkenau, le film nous plonge dans l'enfer que furent les camps d'extermination, et s'inscrit, pour plus de réalisme encore - le film n'en manque pourtant pas - dans les véritables évènements du camp.
A l'image de cette presque jolie séquence qui met en scène le prétendu photographe des quatre photos volées du camp, seules traces réellement percutantes d'une réalité encore trop présente.
Reste aussi cette ultime séquence, véridique, que je tâcherai de ne pas révéler.
Plongée dans l'enfer dis-je. Plongée "viscérale, brusque" , précise le réalisateur.
Plongée personnelle aussi.
Car si personnellement chaque spectateur est invité (et même forcé) à suivre le réalisateur dans le voyage qu'il propose (ce sont ses termes), c'est évidemment à travers le personnage de Saul que nous l'effectuerons.
A la manière (cela me fend le cœur de dire cela, car la comparaison est douloureuse) des frères Dardenne dans Rosetta, László Nemes suit son personnage. Et jamais ne le lâche. La caméra lui colle littéralement aux basques.
Son dos, au bout d'une heure quarante de film, on le connaîtra par cœur.
Son visage nous sera familier.
L' on reste de marbre face à cet énergumène dont on ne sait que trop faire avec, lui et son visage fermé, qui ultimement s'éclaire pour ne plus réapparaitre, lui et ses réactions déplacées. Lui dont on ne sait que trop s'il est vraiment le père de cet enfant là auquel toute son humanité semble se raccrocher.
Car on ne sait, ni on ne saura jamais si l'enfant est le fils de Saul, comme veut bien l'admettre le titre du film. On ne sait pas. Et on s'en fout.
Là n'est pas la question.
D'ailleurs, nulle question n'est à poser.
Alors oui, on peut se poser les énièmes questions que tout document ou témoignage sur la Shoah soulève : "Comment peut-on faire ça à un autre être humain ?" "Comment peut-on organiser cela avec autant de zèle, qui friserait l'inconscience psychotique ?".
On peut se les poser.
Mais cela n'avancera à rien.
Le film est là pour montrer.
Et cela soulève un débat qui fit de micro-vagues sur la lisse planète cannoise.
"László Nemes nous propose un film immersif sur la Shoah et souhaite tout nous montrer de la manière la plus brute possible. Or là est tout le problème, tant son film jamais ne montre la réalité, reste sans cesse dans un flou continu, se cache à lui même la dureté et préfère se réfugier dans la fadaise d'une fiction." Certain pensent cela. Alors je pense qu'ils sont passés à côté de quelque chose.
László Nemes leur répond ceci : "J'ai voulu avec ce film fuir cette tentation qu'a le cinéma de toujours vouloir tout montrer".
Le Fils de Saul est l'art absolument parfait du hors champ, du suggéré et est donc d'autant plus marquant.
Loin d'une froideur chirurgicale qui analyserait et montrerait tout dans les moindres détails, le film du réalisateur hongrois favorise le non-dit. Et est paradoxalement d'autant plus explicite.
La longue scène d'ouverture, d'une dizaine de minute environ, est en ceci le résumé le plus parfait et donc le plus abominable qui puisse être fait sur la Shoah.
En un terriblement long plan séquence, Saul nous guide dans l'horreur. Nous guide vers la mort.
Dans cette séquence toute la particularité et la perfection du style de Nemes s'étale ; le jeu sur les flous (l'image d'ouverture qui ne nous fait distinguer que des formes impures), les longs plans séquences dont l'issue reste toujours incertaines, les jeux d'éclairages, tout à fait brillants ainsi qu'enfin, le travail sonore.
Car là est à mon sens l'aspect le plus formidable du film.
Epuré de toute bande originale, le film est brut. Et brute.
La bande son nous rentre dedans. Nous frappe littéralement.
C'est là le plus insupportable du film. L'image en soit peut ne pas marquer. Même si elle est éblouissante de maîtrise et de justesse (sens du cadre, des lumières, des flous) et est inoubliable, ce n'est presque pas elle qui marque le plus.
C'est le son.
Bouillie informe. Bordel viscéral. La bande son à elle seule frise l'expérimental.
S'y mélange chuchotements et cris atroces, prières incantatoires et hurlements à la mort, 8 langues différentes (panel du mélange de culture que l'on devait trouver dans les camps), chants de lamentations et soupirs de désespoir, crépitement des brasiers et autres fours crématoires, cris de gardes et coups de fouets, coup de feu et de marteau sur le métal.
Le voyage est total.
Là où la fiction permettait aux spectateurs de respirer (et presque d'oublier) en s'éloignant de la tragédie, là où l'image par son format étouffant et ses clairs-osbcurs nous perdait dans un dédale dont jamais nous ne verrons l'étendue et la globalité et donc l'horreur, le son est là pour nous y ramener brusquement. Ou plutôt pour ne nous le jamais faire quitter.
Ce que ne montre pas Nemes, est en fait montré par le son.
Un corps qu'on dissèque, des corps qu'on brûle ; la mort est sonore. Elle a le son des mains qui frappent les portes en métal, ultime mouvement d'espoir avant le fatidique.
On en revient à la séquence du début.
Qui montre la rapidité d'exécution d'une telle tâche, le "traitement" comme on dit. En 10 minutes on passe des questionnements à la sortie du train, au cris d'horreur et de douleur pour finir avec un silence morbide, qui en dit long.
Laszlo Nemes, lorsqu'on lui demande, dit ne pas vouloir donner de mode d'emploi à son film, et à son intrigue. George Didi Huberman dans son livre Sortir du Noir, qui sera prochainement publié, insiste lui aussi sur cette notion. Ne pas trop chercher à comprendre, à trop extrapoler, à trop analyser.
Juste prendre une claque.
Juste accepter.
Et juste fermer sa gueule.
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le 28 oct. 2015
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