Avec ses personnages épris d'arts et de liberté, Le Futur Est Femme est un vrai film punk. Mais pas dans la forme, non. Dans le fond.
Ici, pas de contestations simplistes braillées par les Sex Pistols ou Sham 69. Ou un peu plus pertinemment par The Clash. Nous sommes presque au milieu des années 1980 et c'est l'italo disco qui est en vogue, mixée par des DJs dans des discothèques tentaculaires aussi immenses qu'un supermarché puisse l'être. La lutte contre le capitalisme est perdue et on rentre désormais dans le moule pour faire la fête, picoler et faire l'amour. Dans cet univers de paillettes, le couple formé par Hanna Schygulla et Niels Arestrup (alias Anna et Gordon) semble être en totale osmose. Ils ont déjà la quarantaine mais s'amusent comme des ados de 17 ans, accompagnés d'une bande de copains immatures qui flirtent sur de la musique synthétique surproduite.
Égarée dans ce maelström faussement festif, Malvina est enceinte de 6 mois. Anna la sauve d'une agression sexuelle et la ramène dans l'appartement où elle vit avec Gordon avant de la chasser quelques heures plus tard, sans raison. Enfin si, Anna ne supporte pas que Malvina puisse porter un enfant, elle qui n'en a pas le courage... ou peut-être qu'elle ne peut pas en avoir. On ne le saura jamais. Mais quoi qu'il se passe, Malvina prend tout ce qui lui arrive avec le sourire, éperdument libre. Rien ne fonctionne dans sa vie mais elle s'en fout, car l'organisation n'est pas son truc. Elle vit, point. Au petit matin, Anna retrouve Malvina endormie dans sa voiture. Elles vont finir par s'apprivoiser et par passionnément s'aimer durant 3 mois, sous forme de ménage à 3 avec Gordon, jusqu'à ce qu'une vie en remplace une autre, dans une société si désespérée qu'il est impératif que chacun crée son propre espoir...
11 ans après le scandale cannois lors de la projection de La Grande Bouffe qui reste son film le plus célèbre, Marco Ferreri inflige un nouveau et magistral coup de pied entre les jambes d'un système aseptisé qui n'a plus rien à exprimer. La société superficielle des années 1980, il la capte dans toute sa laideur où Art et Culture ne signifient désormais plus rien, mise à part un pitoyable chiffre de vente. Un univers où hommes et femmes pensent s'aimer alors qu'ils ne sont que dépendants affectifs, morts de peur face à l'hypothèse de se retrouver seul, sans confort, sans repère, hors du troupeau.
Avec Le Futur Est Femme, Ferreri remet les pendules à l'heure quant aux utopies scandées durant les 20 années qui ont précédé 1984. Avec un message féministe en prime, symbolisé à lui tout seul par le personnage de Malvina magistralement incarnée par Ornella Muti. Réellement enceinte de 6 mois de sa fille Carolina, la comédienne italienne est tout simplement heureuse de l'évènement et n'a aucunement besoin d'être dirigée ou de jouer le bonheur. Ce dernier s'affiche naturellement dans ses yeux, dans ses sourires et son sublime visage que Ferreri scrute inlassablement en gros plan, captant ainsi la moindre émotion de l'actrice. Face à cette enivrante bouffée d'air faite de chair et de sang, le réalisateur noircit le décor de désespoir et de névroses humaines. De l'architecture dite moderne aux comportements hypocrites des amis du couple, Ferreri dispose ses pions pour nous démontrer que la société va droit dans le mur. Jusqu'à la chaotique descente de CRS dans un concert où est magnifiquement interprété une chanson prônant l'amour et la paix (la désuète utopie hippie) où l'un des protagonistes trouvera la mort.
De par les "étranges" choix de Malvina / Ornella, les critiques et le public de 1984 ont dû être stupéfaits face à autant de liberté de fond. À l'image d'une œuvre punk trop optimiste pour être honnête, il était sûrement inconcevable à l'époque que le future soit autant femme. Et pourtant ^^