Avec Le Géant Egoïste, Clio Barnard signe une adaptation très libre d'un conte d'Oscar Wilde. « Dans le jardin du géant, des enfants viennent jouer et s'amuser, cueillir les fleurs et grimper dans les arbres. Mais lorsque celui-ci rentre de voyage, il se met très en colère. Ce géant égoïste ne veut pas qu'on entre dans son jardin. Il y met une clôture et un écriteau: “Défense d'entrer sous peine d'amende”. Les enfants sont malheureux: ils n'ont plus d'endroit où aller jouer. L'hiver s'abat alors sur le jardin du géant. La pluie, la neige, la grêle… Un hiver qui semble ne jamais vouloir en finir. »
(extrait tiré du conte d'Oscar Wilde, Le Géant Egoïste )

De ce conte, la réalisatrice ne retient que les personnages et la morale qui était en toile de fond : l'égoïsme est puni, la bonté est une vertu, qu'elle transforme et adapte naturellement à son sujet.
Les deux enfants Arbor (Conner Chapman) et Swifty (Shaun Thomas) à l'inverse du conte, ne s'amusent pas ou trop peu. Ils évoluent dans un quartier populaire de Bradford, une ville du Nord de l'Angleterre. Agés de 13 ans, ils ne voient pas d'avenir, le système scolaire ne veut pas d'eux, leurs familles sont pauvres et à la merci d'usuriers. Peu de solution s'offrent à eux.
Alors, lorsqu'ils rencontrent Kitten, le ferrailleur de la ville qui organise également des courses de chevaux clandestines, les garçons sont tentés eux-aussi de se faire de l'argent facile en récupérant toutes sortes de métaux. Arpentant la ville, ils ramassent tout ce qu'ils trouvent même lorsque ce n'est pas légal, que ce soit les objets laissés à l'abandon dans les jardins de leurs voisins, les câbles servant aux voies ferrés ou encore les câbles de cuivre des pylônes électriques... tout est bon à prendre pour se faire un peu d'argent. Et si Arbor n'est intéressé que par l'argent qui pourrait l’aider lui et sa famille, son ami Swifty, lui, voue une véritable tendresse aux chevaux. Il attire alors l'attention du ferrailleur, bien décidé à le faire diriger son cheval « Diesel » pour la prochaine course.
Le sujet choisi par Clio Barnard pour son troisième film peut paraître peu original au premier abord. En effet, la peinture naturaliste du quotidien de deux jeunes adolescents du Nord de l'Angleterre obligés d'accumuler les combines pour survivre et aider leurs familles fait irrémédiablement penser aux films de Ken Loach ou encore à ceux plus récents de la réalisatrice Andrea Arnold.
Toutefois, il est bon de s'éloigner des images de ce précurseur de la peinture sociale pour se plonger avec un regard neuf dans l'histoire que souhaite nous conter la réalisatrice.
Une histoire sensible et animée par une profonde envie de croire en l'amour qui subsiste même dans la misère sociale. Ce fil mince et ébréché de l'amour nous est montré au travers de tous les personnages mis en scène. Celui des mères pour leurs enfants, inquiètes pour l'avenir et désireuses de les voir devenir autre chose que ce qu'elles leurs offrent. Celui du frère, drogué certes, mais animé tout de même par l'amour fraternel. Enfin et surtout par cette émouvante histoire d'amitié entre Arbor et Swifty qui malgré leurs différences - Arbor est nerveux et inconscient, Swifty plus doux, plus généreux - resteront unis pour le meilleur et pour le pire. Les deux jeunes acteurs dont c'est le premier rôle signent ici une partition parfaite, toute en vitalité et en émotion, leur performance apporte énormément au naturel du film.
C'est cette belle amitié que la réalisatrice a à cœur de montrer, de filmer dans toute sa fougue et son insouciance. La caméra les suit au détour des rues de la ville, les accompagnent dans les quelques jeux d'enfants qu'ils conservent, les contemple en train d'observer leur ville en perdition. C'est caméra à l'épaule que nous les suivons, embarqués nous aussi dans cette quête de ferraille, puis parfois le calme et la vision à la fois belle et effrayante de tous ces poteaux électriques s'imposant fièrement dans les champs calmes. Toute cette électricité à portée de main mais trop chère pour ces pauvres familles de Bradford, condamnées à vendre leur canapé et tout leurs biens pour pouvoir espérer manger des haricots chauds le lendemain...
A nous alors de trouver qui est le plus égoïste d'entre tous : Arbor qui souhaite gagner de l'argent quitte à voler et mentir, son grand frère qui parce qu'il est dépendant de la drogue et n'hésites pas à mettre en danger sa famille, Kitten le ferrailleur qui utilise des enfants pour l'aider à s'enrichir ou encore les compagnies électrique du pays qui n'ont que faire des populations pauvres et continuent de privatiser et augmenter le coût de l'électricité ?
Malheureusement dans ce tableau, la bonté d'âme n'est pas récompensée, « trop bon, trop con » comme dit Swifty à son ami. Dans un monde égoïste la gentillesse ne paie pas et doit être sacrifiée.
Ce joli conte moderne qui, rappelons-le, a été sélectionné à Un Certain Regard, primé au Festival du film Britannique, n'a malheureusement pas le droit à sa fin heureuse et c'est ce qui fait évidemment sa force.
SarahLehu
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le 24 déc. 2013

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Sarah Lehu

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