Avez-vous déjà remarqué que les gens qui disent "aimer" un pays sont le plus souvent des gens nés et qui ont grandi dans ce même pays ? Il auraient pu en choisir des dizaines d'autres !! Mais non, le monde étant bien fait comme chacun le sait, ils choisissent précisément celui à l'intérieur duquel ils ont déchiré le périnée de leur mère. C'est fou comme coïncidence non ?
Mais que se passe-t-il quand il arrive que le monde soit un peu moins bien fait ? Jusqu'à quelle limite peut-on se désolidariser de la destinée de son pays ?
C'est la question qui traverse la suite de situations dans cette fable réaliste et poétique, entre le personnage principal, de toute évidence alter-ego du réalisateur, et les habitants de ce village et en particulier avec une employée du ministère de la culture, vrai personnage de fable, visage innocent d'un Etat monstrueux. Le film organise une montée en tension de ce récit là jusqu'à l'irrésolution finale, où la question est poussée jusqu'à son extrémité et dans ses ultimes contradictions.
Mais le film n'est pas circonscrit à son enjeu simplement politique et est traversé par d'autres récits souterrains. Il donne à voir à partir de situations concrètes l'autoportrait pas très reluisant d'un artiste en sécession mentale de son propre pays, désabusé et ressentimental, qui est quelque part fabriqué lui aussi par l'environnement politique israélien. La film est par ailleurs traversé d'une poésie morbide et inquiétante, induite par le décor de ce désert immense et suggérée par la relation qu'entretient Y avec sa mère.
Plus que le contenu politique, c'est la forme qui va forcément faire débat sur ce film. Une forme qu'on pourrait résumer par exacerbée, que ce soit au niveau du son (assourdissant) ou de l'image et des mouvements de caméra, qui sont une sorte de mélange de champ contre-champ naturaliste et de caméra subjective. Très artificieuse et ostentatoire, elle est néanmoins l'outil parfait de Lapid pour constamment interpeller son spectateur en dissipant complètement l'idée d'une neutralité ou d'une distance avec ce qui est filmé. Il filme avec ses tripes et non avec mesure, il ne filme pas sobre car il filme avec rage, il filme à haute voix et poétiquement. Libre à chaque spectateur d'y être sensible. Là ou certains verront le lourdeur, je vois de la sensibilité et de la viscéralité et in fine de l'honnêteté. Un film honnête, radical, viscéral et beau, voilà un mélange qu'on a pas l'habitude de voir et qui en fait naturellement un des gestes les plus singuliers de l'année.
" - Comment trouvez-vous de l'inspiration ?
- Autrefois dans l'émerveillement de la nuit, désormais dans le mauvais goût du matin"