Un homme dans sa voiture sillonne une ville ocre, sèche et poussiéreuse, quelque part en Iran.
Son regard scrute les passants, en quête de quelqu'un ou de quelque chose. Parfois, il prend un passager qui l'inspire, lui pose de nombreuses questions, puis finit invariablement par lui proposer une mystérieuse mission bien rémunérée.
Le doute plane sur les intentions de cet homme, toutes les interprétations sont possibles, l’ambiguïté est volontairement entretenue par le scénario et il est préférable de ne rien savoir de l'intrigue avant de le voir, au risque d'en perdre un peu du sel (ce qui fut malheureusement mon cas - fucking Wikipédia).
Nous suivons donc sur plusieurs heures ce M. Badii, tout à sa quête et qui ne parvient pas à trouver la personne providentielle qui pourra servir ses desseins. On s'ennuie parfois à ne voir toujours que ces même couleurs fauves, et puis la caméra qui ne filme quasiment que cet obscur personnage principal assis derrière son volant... Jusqu'à l'irruption d'un énième passager, un vieil homme moustachu qui renverse le rapport de force. C'est lui qui va cette fois diriger la conversation, tenter d'en savoir plus sur le conducteur et les raisons qui le poussent à une certaine décision.
Il devient alors un Socrate accoucheur des vérités, ouvrant la voie à la célèbre maïeutique qui consiste à interroger quelqu'un, à le mettre face à ses paradoxes, ses idées reçues...afin de faire émerger le Vrai. Le spectateur écoute avec plaisir cette discussion philosophique - ou plutôt finalement ce monologue - car M. Badii, si prolixe avec ses autres passagers, est soudain saisi de mutisme face à cet homme qui le pousse dans ses retranchements introspectifs.
J'ai particulièrement aimé ce passage - et la parabole du suicide manqué grâce à la saveur des mûres - l'optimisme courageux qui se dégage des paroles du vieillard, sa sagesse, ce qu'il dit de la beauté précieuse du coucher de soleil ou de l'eau fraîche sur la peau, de la joie qui naît de la contemplation : tout cela m'a touchée par sa simplicité et sa justesse.
Je retiendrai aussi de ce Goût de la cerise sa belle mise en scène de nuit (les phares du taxi dans la montagne iranienne), ces plans séquence méditatifs - que d'aucuns jugeront un tantinet longuets mais qui traduisent bien la durée du cheminement d'une pensée en temps réel - cette dernière scène étonnante, puis cet écran noir de quelques minutes et, enfin, ce quatrième mur brisé qui m'a fait longuement réfléchir sur les intentions du réalisateur.
J'ai aussi pensé à Taxi Téhéran. Bien que ces deux films n'aient pas grand chose à voir dans leur propos, il demeure qu'ils se déroulent tous deux dans une voiture dont on ne sort quasiment jamais; qu'un couple demande à un moment donné à M. Badii de les prendre en photo (encore cette immuable présence de l'image, essentielle chez les Persans); que le scénario est focalisé sur le personnage principal dont on scrute le visage en quête d'éléments permettant de comprendre qui il est : quelques similitudes, donc, entre la Palme d'Or 1997 et l'Ours d'Or 2015.
Le Goût de la cerise est un beau film aux images étonnantes, une sorte de fable qui pose davantage de questions qu'elle n'offre de réponses : mais n'est-ce pas là le propre de la philosophie ?