Dans un Tokyo vibrant de couleurs, évoquant le pop art émergent aux États-Unis (tel que reflété dans les rangées chatoyantes de bouteilles d'alcool au bar), le film "Le Goût du Saké" d'Ozu offre un tableau saisissant d'une tranche de vie. Le récit narre les quelques jours de la vie d’un homme déjà vieux, probablement du même âge que le réalisateur légendaire, qui mourra quelques mois plus tard à 60 ans.
Dépendant de sa fille, qui a pris la place de la mère depuis que celle-ci n’est plus là, sans que l’on nous dise à aucun moment qu’elle est décédée (une subtilité fondamentale dans le style cinématographique d'Ozu), le patriarche de la maison doit se résigner à voir ses enfants s’émanciper de sa tutelle.
Cette magnifique représentation de la famille souche japonaise (comme la désignerait Emmanuel Todd), pourtant très lente, se révèle être très précise dans sa représentation du temps qui passe, par ce corps du père qui semble amoindrie, presque épuisée constamment. Son corps semble lourd, son expression perpétuellement étonnée face à un monde qui a évolué, faisant face à une époque qui ne lui est pas totalement étrangère car étant résigné à l’idée que le temps passe, que la Japon a perdu la guerre, et qu’il faut désormais faire place à une nouvelle génération.
Cependant, Il lui reste ses moments de joie qui se matérialisent lors de ses rencontres alcoolisées avec ses collègues, offrant ainsi une échappatoire précieuse à la solitude de son être.
Et comme le disent ses collègues dans une des scènes finales du film :
« - Fille ou garçon, ça revient au même. Au final, ils s’en vont tous…
- .. et les vieux restent à la traine »