Nous voici ici avec un chef d'oeuvre du grand maître japonais des plans fixes. Ce n'est que mon deuxième film de Yasujirô Ozu à cette heure, mais après Voyage à Tokyo, il ne m'en faut pas plus pour y voir le génie que tant lui attribuent. La recette Ozu est parfaite, avec tous les ingrédients nécessaires : un propos sur la famille japonaise, les conflits intergénérationnels, le progressisme inéhrent au cinéaste, et bien sûr - cerise sur le gâteau - un magnifique Chishû Ryû. Alors que j'avais aimé son film le plus apprécie suscité, j'ai réellement adoré son ultime film, qui gagne d'autant plus en profondeur de par sa finalité. En effet, c'est un film extrêmement triste, mais où la tristesse n'est pas évidente. Ozu est naturellement connu pour sa subtilité, et cette oeuvre le démontre à nouveau.
Le destin de ce père de famille attendrissant qui semble ne pas vouloir trop réfléchir à toutes les pressions sociales l'assaillant est touchant, non seulement parce que Ryû est incroyable de justesse, mais surtout parce que c'est un des problèmes majeurs chez les Nippons - comme Kore-eda le montrera des décennies plus tard. Ses amis n'arrêtent pas de lui rappeler qu'il faut absolument "marier sa fille", mais ce dernier a du mal à se faire au fait que celle-ci est en âge de partir - surtout qu'il n'est pas prêt à vivre tout seul. Bien que son fils soit plus jeune, il sait qu'il partira bientôt, mais avoir une fille est différent - c'est d'ailleurs avec un propos déchirant que l'on remarque la différence de traitement entre les deux genres : dans un excès d'honnêteté, il avoue qu'avoir une fille n'a pas de sens et ne vaut pas le coup, simplement parce que la perdre après toutes ces années est bien pire que perdre un garçon.
La mise en scène toujours aussi douce et pleine d'assurance du cinéaste japonais nous permet d'assister à cette lente descente aux enfers de ce vieil homme de la meilleure des manières. Car ces multiples plans fixes nous rappelle que Ozu ne cherche jamais à faire passer un message moralisateur, au contraire. C'est dans la normalité des choses que ressortent les défauts et qualités des hommes et femmes qu'il filme, et cela en décuple la force. En voyant cet homme triste, esseulé à un bar avec son verre de saké, il est futile d'essayer de dramatiser la scène alors que la puissance est liée à cette mise en scène si juste. C'est donc là que repose le génie de Ozu, qui sait parler des relations humaines comme peu d'autres. Cette absence de mouvement nous oblige à faire face à une réalité dépouillée de tout artifice, car il n'est pas nécessaire d'essayer de l'exagérer alors qu'elle n'est jamais plus forte que lorsqu'on la regarde droit dans les yeux.